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2019-09-28T06:00:00+02:00

Tous tes enfants dispersés de Beata UMUBYEYI MAIRESSE

Publié par Tlivres
Tous tes enfants dispersés de Beata UMUBYEYI MAIRESSE

Editions Autrement

Il est des exils contraints et forcés, et l'irrépressible besoin de retourner sur sa terre d'origine. Dans cette sélection des 68 Premières fois, et sur ce thème, j'ai déjà lu "A crier dans les ruines" d'Alexandra KOSZELYK, une énorme coup de coeur de cette #RL2019, mais au bras de Beata UMUBYEYI MAIRESSE, c'est une toute autre histoire qui va se dérouler sous vos yeux.

Blanche est infirmière. Elle est mariée à Samora, un comptable d'orgine martiniquaise. Elle a un enfant, Stokely. Elle vit en France en famille mais sa terre d'origine la tenaille. Elle est originaire du Rwanda et survivante du génocide des Tutsis de 1994. Une vingtaine d'années après, elle foule le sol qui l'a vu naître, le village de Butare. Elle retrouve les siens, enfin, ce qu'il en reste. Elle engage une conversation avec sa mère, Immaculata, qui elle, n'a pas quitté son pays. Elle est restée prostrée 3 mois dans la cave d'une librairie. Plus un mot ne sort de sa bouche. Quant à Bosco, son frère, ce garçon, différent, il a fait la guerre. Soldat, il est rentré à la maison, torturé à jamais par le fantôme des siens. D'un pays ravagé par la violence des coups, mortels, d'une famille martyrisée par ce qu'elle a vu, entendu, ressenti, il ne reste plus rien du passé de Blanche, ou si peu. C'est pourtant ce qu'elle va tenter de conquérir avec ce retour au pays. Là commence une toute nouvelle histoire.

Ce roman, c'est celui d'une terre, colonisée, une terre africaine qui a vu l'homme blanc marquer de son empreinte l'homme noir. Et l'indépendance acquise en 1962 ne permettra pas d'effacer les traces à jamais laissées par des années passées sous le joug d'êtres qui se croyaient supérieurs. Là, ils s'agissaient de Belges, ailleurs, c'était les Français. La grande Histoire du Rwanda est marquée à jamais par cette page. 1894-1994, c'est le temps qu'il aura fallu au ver pour contaminer le fruit, un siècle de guerres intestines pour arriver au génocide que l'on connaît, celui qui a fait entre 800 000 et 1 000 000 de morts. 

Ce roman, c'est aussi celui d'une famille, celle de l'écrivaine. A dimension autobiographique, le propos relate un retour aux sources de la femme contrainte à l'exil. Depuis sa plus tendre enfance, sa mère s'évertuait à lui proposer la voie de la France pour réussir dans la vie. Alors, quand la guerre a commencé, elle n'a plus pu reculer.

Toute sa vie, Blanche, et certainement Beata UMUBYEYI MAIRESSE, a été tiraillée entre deux cultures. Son éducation a été marquée par le souci de sa mère de la libérer de son africanité. Elle devait abandonner le kinyarwanda, sa langue maternelle, et  apprendre le français pour pouvoir épouser un homme blanc. L'écrivaine montre à quel point il est difficile de naviguer entre deux registres :


Posséder complètement deux langues, c’est être hybride, porter en soi deux âmes, chacune drapée dans une étole de mots entrelacés, vêtement à revêtir en fonction du contexte et dont la coupe délimite l’étendue des sentiments à exprimer. P. 151

Et puis, s'il n'y avait que les mots. Sa couleur de peau, elle, ne changeait pas, avec cette impression permanente de ne jamais être à sa place, au bon endroit.

Ce roman, c'est encore l'histoire de femmes. J'ai été profondément touchée par la malédiction de la filiation avec cette incapacité, pour Immaculata et Blanche, mère et fille, de mettre au monde un enfant par les voies naturelles comme si la maternité devait les marquer à vie de leur chemin de croix, l'occasion pour l'écrivaine de remettre en question l'instinct maternel, ce petit quelque chose de supplémentaire et naturel qu'auraient les femmes par rapport aux hommes dans leur relation à l'enfant :


L’instinct maternel, ceux qui l’ont inventé ne savent pas ce qu’ils disent, ils n’ont pas la moindre idée, ne sauraient qu’en faire s’ils s’agissait d’eux. P. 36

Et si l'enfant, un garçon, venait rebattre les cartes d'une famille douloureusement marquée par la grande Histoire ! Avec le personnage de Stokely, Beata UMUBYEYI MAIRESSE nous livre un hymne à la vie, un propos lumineux, plein d'espoir, qui prend appui sur la jeune génération pour surmonter les affres du passé et imaginer le fil d'une existence à venir.

La plume est éminemment poétique, je vous en livre un petit condensé :


J’attendais cette question avec la même anxiété qu’au temps d’avant et dans ma tête mes pensées chiffonnées étaient semblables à un drap blanc fatigué de la longue nuit de mon absence, dans les replis duquel je cherchais une aiguille pour reprendre mon travail de mémoire. Mais n’est-ce pas pour cela que j’étais revenue ici, pour tisser une virgule entre hier et demain et retrouver le fil de ma vie ? P. 28

et le style narratif tout à fait remarquable. L'emploi de la seconde personne du singulier permet à l'écrivaine de s'adresser au lecteur, lui faire une place dans la conversation et l'inviter à partager une certaine intimité, un pari audacieux ici parfaitement réussi.

Quant à la chute, elle est juste magnifique !

Merci aux fées des 68 Premières fois que de nous l'avoir proposé dans ce très beau défilé des premiers romans de l'automne 2019.

 

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commentaires

J
Je viens de le terminer. Ce n’est pas une lecture facile. On n’accouche pas d’une telle histoire dans la fluidité. Mais effectivement, par moments, quelles belles envolées. J’ai lu plusieurs romans sur ce sujet, celui a quelque chose en plus, sur la transmission. Belle lecture
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T
C’est vrai, une lecture délicate mais qui m’a transportée. Et quelle plume !

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