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2019-08-24T06:00:00+02:00

Les veilleurs de Sangomar de Fatou DIOME

Publié par Tlivres
Les veilleurs de Sangomar de Fatou DIOME

Albin Michel

Le 26 septembre 2002, au large de Dakar sombre le ferry Joola avec ses 2 000 passagers. Seuls 64 survivent au naufrage. Parmi les disparus, il y a Bouba, le mari de Coumba, tous deux parents de la petite Fakidiine âgée de 5 mois. De confession musulmane, la veuve est recluse pendant quatre mois et dix jours. Dans la chambre au sein de la maison de sa belle-famille, Coumba fait part des voix qu'elle entend la nuit, celles de Sangomar, l'île sacrée où sont accueillis les défunts et djinns. Les mauvaises langues du village ne tardent pas à laisser croire que Coumba perd la raison. Incomprise, la jeune femme décide alors de se vouer au silence. Entre réalité et songe, la veuve profite des nuits pour libérer son coeur dans l'écriture et se laisser guider par les Immortels, les aimés.

Ce conte est un livre sur le deuil bien sûr. Avec le personnage de Coumba, Fatou DIOME déroule jour après jour le fil de l'existence de cette femme qui, après avoir été une jeune mariée, se retrouve tout de blanc vêtue pour célébrer le décès de son défunt mari. Le huis clos de la chambre dans laquelle Coumba se retrouve seule avec sa fille est une formidable opportunité pour la jeune femme d'imaginer son avenir et donc, de trouver la voie de sa propre résilience. Il y a une autre dimension au deuil apportée par l'écrivaine avec l'intervention des parents de Pauline, cette jeune infirmière partie en mission humanitaire en Afrique, également naufragée du Joola. Là pas de mot de vocabulaire pour traduire leur nouveau statut mais que de souffrances.


Quand la mélancolie est privée de mots, elle pêche des algues rouges au fond des yeux. P. 40

Mais ce roman est aussi une formidable preuve d'amour faite par une jeune femme à son mari. Coumba et Bouba venaient de célébrer un mariage d'amour que le destin est venu fracasser. Pour autant, Coumba reste fascinée par le personnage de son mari au point de laisser envoûter par sa voix, celle d'un Immortel, l'aimé ! J'ai beaucoup aimé cette narration de l'imaginaire qui offre des parenthèses dans un roman rythmé par les jours, mais aussi et surtout, les nuits. C'est quand la petite Fadikiine dort et que les visites s'interrompent que Coumba peut enfin communiquer avec les défunts de l'île de Sangomar. C'est dans ces dialogues que Coumba va puiser la force de se reconstruire, celle de se rebeller aussi devant les intentions de mère et belle-mère de la voir très vite remariée. 


De l'acquiescement à l'exécution d'un ordre, il y a la souveraineté d'une volonté. P. 165

Fatou DIOME dresse avec Coumba un magnifique portrait de femme, résistante, libre. C'est aussi le très beau tableau d'une mère. Au fil des jours et malgré l'exiguïté des lieux, Coumba va tisser avec sa fille une relation indéfectible, de celles qui trouvent leur source dans la maternité, l'union des corps, la chair, un lien viscéral plus fort que tout.


Etre mère, c'est vivre au service d'un être en devenir, même quand on ne veut plus du tout exister pour soi-même. P. 170

Et puis, ce roman c'est un hymne à l'écriture. Incomprise de son environnement familial, Coumba décide d'exprimer ses sentiments avec des mots qu'elle couche sur le papier. Très vite, le lecteur prend connaissance du dessein de cette mère, transmettre à sa fille ce qu'était son père, offrir à Fakidiine la possibilité de découvrir les réponses aux questions qu'elle ne manquera pas, plus grande, de poser à propos de Bouba. 


L'écriture n'arrête aucune honte, mais elle apprend à s'y tracer un sillage à coups de rames, n'importe quelle rive étant préférable à la noyade. P. 9

Ce livre, je l'ai lu aussi comme un acte militant, contre les Métamorphosés d'abord, ceux qui au nom de la religion revendiquent telle ou telle obligatoire alors même qu'ils ne connaissent pas les textes sacrés, contre les Européens aussi qui lors du naufrage du Joola, parce qu'il s'agit d'un fait réel, ne se sont pas indignés de la mort de près de 2 000 personnes. Fatou DIOME assure la mémoire d'un événement qui n'aurait jamais dû avoir lieu si le ferry sénégalais n'avait accueilli quatre fois le nombre de passagers autorisé. Que l'on ne s'y trompe pas, le naufrage du Joola n'est pas l'affaire de Dieu !

Avec "Les veilleurs de Sangomar", j'ai découvert la plume de Fatou DIOME, éminemment romanesque, délicate, tout en pudeur, qui par la voie du conte trouve un très beau terrain de jeu philosophique. 

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