Alain JASPARD, il y a quelques mois, je ne vous connaissais pas encore. J'avais bien entendu parler de vous lors de la remise du Prix France Bleu_Page des Libraires, c'est même là que j'avais reçu en cadeau votre premier roman, "Pleurer des rivières". Et puis, le temps a passé... jusqu'à l'organisation des Journées nationales du livre et du vin de Saumur avec l'équipe de la Librairie Richer.
Bénévole, je me suis retrouvée à vos côtés le temps d'un salon, l'occasion de faire connaissance. Il y a eu la dédicace et puis, le moment venu de vous lire. Avec "Pleurer des rivières", vous nous offrez un joli panel d'émotions et de quoi passer quelques heures à méditer sur notre société contemporaine. Et comme je suis d'un naturel curieux, je voudrais bien vous connaître un peu plus encore, Monsieur JASPARD !
Parlez-nous de ce livre : "Pleurer des rivières". Qu'est-ce qui a fait qu'un jour vous vous soyez mis à écrire ?
Lorsque j’ai cessé de réaliser – et donc d’en écrire les scénarios – des films pour la jeunesse, ce que j’ai fait pendant quinze ans avec beaucoup de plaisir, j’ai préféré me mettre en danger (et ce n’est pas un vain mot), en écrivant un roman, le premier donc, plutôt que de jouir d’une retraite modérément méritée en m’inscrivant, par exemple, dans un club de pétanque pour seniors, ou en militant dans une association de défense de la marmotte alpine grise, autre exemple.
Cela dit, écrire est une bizarrerie : j’écris dans la souffrance, alors que tous les écrivains que je fréquente depuis neuf mois travaillent dans la joie et la sérénité. Je dois être un peu maso. Je m’explique : rien que de regarder mon ordi, j’ai envie d’aller me promener, il me regarde d’un air mauvais, je crois qu’il me déteste, qu’il déteste mes petites histoires ! Parano, moi ??? Et ce que j’écris dans l’enthousiasme à un moment donné devient le lendemain à la relecture un texte imbuvable. La grande auteure Colette disait en substance : « Les rameaux d’or écrits dans la nuit ne sont plus au réveil que des brindilles desséchées ». Ajoutons-y le célèbre vertige de la page blanche, voilà donc la douleur.
Mais je pense que cette douleur me convient, comme celle que l’on inflige aux rossignols pour qu’ils chantent leurs plus belles mélodies. Bon, physiquement je ne ressemble pas vraiment à un rossignol et mes mélodies ne sont pas toujours mélodieuses, car comme on le sait, j’aime l’écriture brutale, crue, parlée. Bien loin du rossignol !
Dans quel environnement écrivez-vous ? Vous qui plantez à merveille les décors, que voyez-vous de votre bureau ? de votre fenêtre ?
J’écris n’importe où mais jamais cloîtré dans un bureau. J’aime écrire dans le bruit, la présence des gens ne me dérange pas, j’affectionne particulièrement les... cuisines ! L’ordi entre les asperges (pendant la saison), les gâteaux au chocolat, le bruit du lave-vaisselle, ça me convient. De temps à autre, je pelote le mollet de la cuisinière, ça m’encourage et elle ne déteste pas. Et j’aime les odeurs et les couleurs des cuisines.
Dans ce roman, vous mettez en lumière une communauté, celle des gens du voyage. Pourquoi ? Quel rapport entretenez-vous avec elle ?
Pendant une dizaine d’année, j’ai été réalisateur de documentaires en Afrique, plus particulièrement dans le sahel africain. Parce que j’aime les nomades : les Peuls, les Imraguen, les Touareg (y’a pas de faute : un Targui, des Touareg, sans S), les Bozos, les Pygmées. Je les aime parce qu’ils sont détestés, mal compris. Les « Gens du voyage », horrible expression, n’échappent pas à l’opprobre, souvent méritée, ne soyons pas angéliques. Mais ! Mais... ils sont libres comme un torrent (j’ai écrit ça, libre comme l’air est très banal, comme le vent irait assez bien aussi). Nous aimons tous cette liberté et je pense que si les nomades sont détestés, c’est par pure jalousie, nous sommes jaloux de cette liberté d’aller où le vent les pousse, un peu comme les marins d’antan. Pour ce livre, je les ai beaucoup fréquentés, parce que j’aime écrire sur ce que je connais. J’ai aussi fréquenté les tribunaux de comparution immédiate où j’étais dessinateur (pas très bon !) puisque ce livre parle de la justice, c’en est même le sujet principal.
Ce roman, il nous parle de morale, il évoque des questions d'éthique. Il y a ce pacte signé entre des hommes, des femmes, un consentement mutuel qui pourrait bien montrer ô combien il est fragile face à la loi. Qu'est-ce que ce roman révèle de notre société d'aujourd'hui ?
Il s’agit d’enfants, d’une femme qui ne parvient pas à en faire alors qu’elle ne pense qu’à ça et d’une autre qui en a déjà sept et qui attend le huitième. Techniquement je n’ai pas eu de problèmes, la femme qui partage ma vie depuis .... - bon, très longtemps ! - est médecin, spécialisée dans la fabrication compliquée de bébés. J’avais la documentation à portée de main (quand ce n'était pas son mollet, voir passage sur la cuisine !). Il s’agit plus sérieusement d’une réflexion sur le droit à l’enfant, quel qu’en soit le prix à payer, quel qu’en soit le risque, surtout auprès de la justice, celle des hommes, l’autre je ne la connais pas. Et la question est : doit-on obéir aveuglément à la loi, même si la loi est plus cruelle que le délit ? Question que les hommes se posent depuis la nuit des temps, pour simplifier, devait-on par exemple obéir à la loi qui déportait les Juifs ? Bien évidemment non. Immense débat dans lequel s’inscrit ce livre, à un niveau bien entendu plus modeste.
Il y a comme un fil rouge dans votre livre, celui de la maternité. Avec les deux personnages de femmes, Mériem, la tzigane, et Séverine, la bourgeoise, vous confrontez les voies naturelles à celles instrumentalisées, vous explorez aussi deux univers sociaux et leurs pratiques. Quel message avez-vous envie de nous transmettre ?
L’écriture de ce roman m’a demandé une réflexion très ardue. Non pour ce qui concerne l’histoire. Des histoires disait Céline (j’adore l’écrivain, je n’aime pas l’homme, air connu), des histoires donc, il y en a plein les commissariats, plein les hôpitaux, plein les rues. Ce qui a été le plus difficile mais aussi le plus excitant, c’était la manière de raconter mon histoire, de faire parler les acteurs (j’emploie le mot à dessein) avec leur propre sociologie, les Gitans d’un côté, les bobos de l’autre. Et ça, je dois le reconnaître, j’y ai pris un plaisir extrême.
Ecrire présente finalement quelques plaisirs !!! Revenons à vous maintenant. Qu'est-ce que ce roman a changé dans votre vie ?
Ensuite, une fois édité, ce livre m’a fait rencontrer la grande et belle famille des auteurs, éditeurs, critiques (d’une grande tendresse à mon égard, mille mercis à vous les critiques), les blogueurs (idem, un million de mercis), les géniaux libraires que nous avons la chance d’avoir dans ce pays, y compris ceux des chaînes type FNAC, Cultura, Leclerc... qui connaissent bien leur boulot, le métier le plus utile du monde avec le médecin et l’instituteur (bon l’agriculteur est bien utile aussi !).
Maintenant, place à l’avenir. Maintenant que j'ai découvert votre plume, que je l'ai particulièrement appréciée, la fin m'a, juste, bluffée, je ne résiste pas à vous poser la question que tous vos lecteurs ont sur les lèvres, y aura-t-il un deuxième roman ? Si oui, pouvez-vous nous en parler ? nous en dire quelques mots... même en avant-première, nous sommes juste entre nous !
Aïe ! Je suis sollicité avec beaucoup de délicatesse par mon éditrice chérie, Héloïse d’Ormesson, pour écrire un second roman. Mon ordi me regarde d’un air ironique, « pauvre auteur que tu es, me dit-il, tu vas pas te marrer, tu vas souffrir ». Bon, j’accepte, je vais souffrir. Mon premier roman – pourtant assez drôle parce que je considère que l’humour dans la littérature est absolument indispensable, jouant le rôle d’ amplificateur de la tragédie, encore un débat intéressant. -, finit d’une façon assez grave, surtout pour les femmes. Si je devais y mettre un sous-titre, ce serait : « Fracassée », au féminin, ça ne vous a pas échappé. Si je parviens à écrire un deuxième livre, il aura le même sous-titre, Fracassée. Il s’agira donc encore d’une femme dans la tourmente, cette fois de la guerre. Je ne peux pas en dire beaucoup plus pour l’instant, je pédale dans la choucroute !
Enfin, pour que la boucle soit bouclée, et parce que cet entretien s'inscrit dans un partenariat avec Page des libraires (j'en profite pour faire un petit clin d'oeil à Françoise Gaucher de la Librairie Le Coin des livres de Davézieux) dites-nous ce que la revue et/ou le réseau vous ont apporté en tant qu'écrivain.
Quoi qu’il arrive, je ne remercierai jamais assez les revues et les réseaux qui se montrent si chaleureux et pros à l’égard des auteurs en général et du mien en particulier, c’est par eux que le travail des écrivains passe, qu’ils aillent un jour au paradis, ils le méritent.
Mais « le paradis, c’est ici », non ? Jean-Louis Aubert le chantait... et moi, j’y crois !
Merci infiniment Alain pour ce moment de complicité, j’y ai retrouvé votre humour, votre coquinerie aussi ! Au plaisir de vous retrouver, sur un salon ou ailleurs...
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