Après Caroline LAURENT, éditrice, je vous propose de découvrir Caroline CAUGANT, auteure du roman "Les heures solaires" de la rentrée littéraire de janvier 2019, mon premier coup de coeur de l'année !
Votre roman « Les heures solaires » sort dans la toute nouvelle collection Arpège des
éditions Stock. Parlez-nous de votre relation avec votre éditrice, Caroline Laurent ?
C’est avant tout une relation de grande confiance. Et c’est aussi un lien affectif, de la
complicité, de l’amitié. Il y a un regard singulier posé sur le texte, des conseils, beaucoup de
partage, d’écoute, d’échanges, entre travail et rires, et au bout, le livre dont on accouche
grâce à cette énergie commune. Et l’éditrice est là aussi pour accompagner l’auteur, le
soutenir, l’aider à grandir. Son rôle est essentiel. J’ai beaucoup de chance d’avoir pour
éditrice Caroline LAURENT car, au-delà de son talent, elle est la bienveillance incarnée ! Ce
jour de juillet 2017 où je lui ai envoyé mon manuscrit, je sais que ma bonne étoile était à
l’œuvre.
Dans ce roman, une place prépondérante est donnée à un élément naturel, la rivière.
Pourquoi ? Que vous inspire-t-elle ?
J’ai depuis toujours un rapport viscéral à l’eau, presque sentimental. Peut-être est-ce dû à
mes racines bretonnes ou aux récits de mon père, ancien officier de marine ; sûrement la
somme des deux ! Je vis à Paris et je ressens le besoin de plus en plus pressant de
retrouver régulièrement la mer. Dans Les heures solaires, l’eau est un élément sensoriel
prégnant, une sorte d’aimant magique dans le cadre écrasant d’un Sud caniculaire. Les trois
héroïnes, Billie, Louise et Adèle, sont tour à tour attirées par la rivière de V. Elles s’y
prélassent, viennent s’y ressourcer, y chercher un apaisement, parfois même une forme de
purification. La rivière berce ces femmes, leur offre un espace où se libérer. Elle les menace
aussi, se déchaîne parfois, les enchaîne et peut devenir un cercueil. C’est un élément
protéiforme, rivière des heures solaires et d’heures plus sombres, qui abrite des secrets et
parcourt tout le roman, comme un ruban de la mémoire, traçant une courbe silencieuse entre
ces trois femmes.
Vous évoquez un village du sud de la France que vous nommez V. Pourquoi cette manière de parler d’un lieu ? Est-ce que ce village existe vraiment ?
Je voulais que le lecteur puisse se projeter dans n’importe quel village de l’arrière-pays
provençal, qu’il puisse se le représenter à sa manière, que l’histoire puisse être transposée.
Cette universalité me paraissait essentielle car le roman traite des secrets de famille, un
thème qui touche beaucoup de familles. L’héroïne, Billie, a quitté V. vingt ans auparavant.
Ce qu’il lui en reste, ce sont des souvenirs d’enfance, des sensations et un attachement
profond, ancré, à cette terre d’origine qu’elle a pourtant fuie. C’est cette vision de V. que je
voulais écrire : celle d’une enfant du pays. Peu importe pour elle le nom de ce pays. Et je me
suis inspirée d’un lieu qui existe, un village où j’ai passé beaucoup de temps, enfant, à côté
duquel coule une rivière…
Le personnage de Billie est artiste, dessinatrice. La jeune femme travaille au fusain dans les premières pages de votre roman. Que représente pour vous cette discipline ?
Je suis fascinée par la technique du fusain dans ce qu’elle a à la fois de basique et de
complexe : avec un simple morceau de charbon et une gomme, l’artiste créé tout un éventail
de textures, des variations de dégradés et d’incroyables rendus de lumière. C’est aussi une
technique qui a quelque chose de précaire et demande une certaine vigilance : les traits
s’estompent, la poudre du carbone est volatile. Lorsque le roman s’ouvre, Billie prépare sa
prochaine exposition, une galerie de portraits au fusain, des visages aux traits anguleux et sombres. Depuis des mois, elle est immergée dans cette démarche créative. Je trouvais que
le travail sur le fusain correspondait bien à son état d’esprit à cet instant de sa vie, avec la
prédominance du noir, les reliefs prenant forme à travers les jeux d’ombres, la nervosité du
trait, le bruit sec du fusain sur la toile… La patte de Billie et ses sources d’inspiration
évolueront en même temps que sa démarche de remonter sur les traces de son passé et de
sortir du déni dans lequel elle s’est enfermée. Son univers créatif en sera totalement
bouleversé.
Très vite, vous dévoilez un passé mystérieux et douloureux, un départ sans retour, et puis, la mémoire comme un fil tendu entre les générations. Pourquoi ce thème ?
Je voulais parler de l’impact des secrets de famille sur les héritiers. Les mémoires familiales
inconscientes sont d’autant plus puissantes qu’elles sont tues. Elles se perpétuent de
génération en génération et poursuivent leur œuvre en silence, formant cette immense toile
qu’on appelle liens trangénérationnels. Les héritiers de ces secrets portent en eux des
fantômes familiaux. C’est ce que vit Billie, sans en être consciente. Elle pressent le secret
d’Adèle, sa grand-mère, elle le sent comme s’il était gravé dans sa chair. La mémoire
inconsciente est à l’œuvre. On touche là aussi à la mémoire du corps, contre laquelle
l’héroïne ne peut opposer aucune forme de déni. En même temps qu’elle remonte le fil des
générations, jusqu’aux racines du mal, elle renoue avec sa propre histoire, tout ce qu’elle a
laissé derrière elle et tenté d’oublier. En retournant dans le village de son enfance, les
sensations affluent. Le Sud se prêtait bien à cela : avec ses étés caniculaires, ses pluies
diluviennes, ses senteurs et ses couleurs vives, c’est une région qui décuple les sens et
laisse une empreinte forte sur le corps.
Plus généralement, quelles sont vos sources d’inspiration pour écrire ?
Certains voyages que j’ai faits, des lieux où j’aime retourner, d’autres qui m’ont marquée,
d’autres encore où j’ai grandi. D’une certaine manière, les lieux nous forgent. Ils peuvent
nous manquer, continuer de nous hanter, alors j’aime écrire sur les sensations qu’ils ont
laissées. Le quotidien aussi est une source d’inspiration, les plus petites choses peuvent
parfois être le début d’une histoire, comme une tomette cassée ! Et puis il y a bien sûr les
livres que je lis, les auteurs, leurs mots qui m’inspirent…
Parlez-nous de l’écriture, que représente-t-elle pour vous ?
L’écriture est essentielle pour moi, c’est un besoin. Du plus loin que je m’en souvienne, j’ai
toujours voulu écrire. J’ai commencé par des textes courts, des poèmes, des contes, des
nouvelles… Ecrire un roman était intimidant. Je me suis lancée à un moment où j’ai eu du
temps devant moi, quelques semaines pendant lesquelles je me suis jetée dans l’écriture.
Ensuite cela ne m’a plus lâché.
Avec le succès que rencontre votre roman « Les heures solaires », j’imagine que vous êtes au travail pour le suivant ! Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Oui, j’avance sur un troisième roman depuis quelques mois. J’aime ces périodes d’écriture, à
la fois intenses et soumises au vide, qui oscillent entre moments de creux, beaux élans,
doutes, blocages, clés que l’on déverrouille. Je me demande où cette écriture me mènera.
Pour l’instant, je ne sais pas !
Et la lecture ? Entre vos activités de graphiste et d’écrivaine, trouvez-vous encore un peu de temps pour lire ? Que représentent les livres pour vous ?
Je trouve toujours du temps pour lire, et j’ai des piles de livres qui ont tendance à ne pas
diminuer ! Les livres sont pour moi des compagnons, depuis l’enfance. Petite, j’ai adoré me
plonger dans la bibliothèque rose. Lorsque j’ai un coup de cœur pour un auteur, j’ai tendance
à lire tous ses livres. Et je choisis mes lectures en fonction des périodes, des moments
traversés. Souvent il n’y a pas de hasard : les livres tombent dans nos mains au bon
moment. C’est mystérieux et magique.
Pouvez-vous nous parler de votre dernier coup de cœur ?
J’ai adoré Dans la forêt de Jean Hegland. Je l’ai lu il y a quelques mois et il m’a laissé une
foule d’impressions. Dans un monde qui s’effondre, deux sœurs, Nell et Eva, apprennent à
survivre, en autarcie, au cœur de la forêt. Ce roman apocalyptique nous parle d’humilité et
d’espoir. C’est un récit à la fois intimiste, philosophique et atmosphérique, empreint de
poésie et d’images saisissantes comme cette jeune fille qui danse dans un monde privé de
musique, au seul son d’un métronome.
Quel livre lisez-vous actuellement ?
Je lis Le lambeau de Philippe Lançon.
Pouvez-vous nous citer trois livres de votre pile à lire ?
Des hommes couleur de ciel d’Anaïs Llobet, La goûteuse d'Hitler de Rosella Postorino, Une
sirène à Paris de Mathias Malzieu.
Cette interview est réalisée dans le cadre du partenariat avec Page des libraires ! Quel lien entretenez-vous avec les librairies ? Quel est le style de librairies que vous fréquentez ? Quelles sont, pour vous, les qualités d’un(e) libraire ? Une adresse à nous recommander ?
J’adore aller flâner dans les librairies. C’est important d’avoir une librairie de quartier, de
pouvoir échanger avec les libraires, de leur demander conseil. De partager, tout
simplement ! Lorsque je voyage, je m’arrête toujours dans les librairies que je trouve sur mon
chemin, et je suis souvent repartie avec des trésors !
Je vous recommande la jolie librairie Comme une orange, rue Bayen, dans le 17 ème
arrondissement parisien. Il y a une belle sélection de livres, pour petits et grands, et Corinne
est une libraire passionnée qui parle des livres avec sensibilité et enthousiasme.
Je la visiterai, c'est certain, lors de l'un de mes prochains passages à Paris ! Merci infiniment, Caroline, d'avoir accepté de répondre à mes questions. Je vous souhaite un formidable succès avec "Les heures solaires", tout juste sélectionné par les fées des 68 Premières fois, bravo ! Mon petit doigt me dit que nos chemins se croiseront de nouveau dans les mois à venir, pour mon plus grand plaisir bien sûr !
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