Cette lecture s’inscrit dans le cadre du #grandprixdeslectriceselle2019.
Pour tout vous dire, je ne connaissais pas Suzanne ! Vous non plus d’ailleurs et c’est relativement normal. Suzanne n’est pas une femme célèbre, ce n’est pas une femme publique, mais c’est la plus grande femme au monde pour son petit-fils, Frédéric POMMIER, qui, tout au long de ce récit va nous faire découvrir sa grand-mère depuis sa plus tendre enfance jusqu’à sa vieillesse. Elle a 95 ans, elle vient d'être hospitalisée. Suzanne est née en 1922 au Havre. Elle vit son enfance au gré des projets de ses parents et puis vient l’adolescence, son amour pour Pierre, un amour plus fort que tout, un amour indéfectible, à la vie, à la mort. Elle passe son bac et se marie. Ils auront l’immense joie de donner naissance à une petite Marguerite, Jean, lui, décédera à 8 semaines pour une cause inexpliquée, leur plus grand malheur avec, comme toile de fond, la deuxième guerre mondiale. Iris, Rose et Violette viendront, comme une brassée de fleurs de printemps, égayer leur vie. Suzanne est une femme qui aime la croquer à pleines dents. Elle vit un peu comme elle conduit son bolide :
Avec, elle roule à 120 /h sur des nationales limitées à 90. Sur l’autoroute, elle fait des pointes à 150 km/h. P. 192
C’est une femme originale, libre, féministe, qui sait ce qu’elle veut et entend bien le faire savoir, à son mari, à sa famille. Elle est moderne aussi, elle joue au tennis et s’y distingue. Mais voilà, Suzanne, comme tout être humain, vieillit. A l’image de la narration faite d’alternance de chapitres dédiés à ses plus belles années et à ses séjours en structures, la vieillesse se rappelle inlassablement à Suzanne. Imaginez recevoir un bouquet de jonquilles de sa fille et ne pouvoir en changer l’eau seule, devoir vivre avec cette odeur pestilentielle que les fleurs diffusent dans la chambre avec leur pourrissement, n’est-ce pas vous renvoyer au visage vos fragilités physiques qui ne font que s’aggraver, année après année ? Progressivement, elle perd de sa superbe et de sa confiance. Quoi répondre au personnel quand il l’humilie ?
Avec « Suzanne », Frédéric POMMIER dénonce les paradoxes de notre société. Quand les personnes âgées vivent au gré de l'expression de leur corps qui leur donne une dimension profondément humaine, le système, lui, s'acharne à les déshumaniser. L’usage du simple « on » quand les agents s’adressent à Suzanne lors d'une visite m’indigne.
On a du monde. P. 199
En me plongeant dans Le Larousse, je trouve un pronom indéfini pour : « Un être humain non précisé : quelqu’un. » ou bien encore « Des personnes dont l’identité n’est pas connue ou précise. »
Mais dans la situation évoquée, c'est tout à fait inadapté. J’en tremble !
Autre chose, quand les personnes âgées ont tout leur temps, le personnel des structures lui ne l’a pas. Tout est fait dans l’urgence, générant un mal-être dans le personnel, frustré de ne pouvoir apporter les soins qu’il estimerait utile. L’écrivain nous renvoie en miroir une problématique que nous n'avons sans doute pas anticipé à la mesure du phénomène. Avec le papy-boom, qui n’est pas né hier, avouons-le, c’est une marée humaine du 4ème âge qui se profile sans que les services aient été calibrées à la hauteur des besoins. Bientôt, c'est presque demain, les demandes vont exploser. Auprès des institutions, auprès des familles aussi. Il y a des alternatives à la structure bien sûr, avec notamment les services de maintien à domicile, mais le cas de Suzanne vient révéler ô combien cette solution est difficile à mettre en oeuvre quand la santé se dégrade irrémédiablement.
Bien sûr, il y a le déchirement des descendants, les enfants des personnes âgées en premier lieu qui, eux, endossent, bien malgré eux, le costume d'aidant. Et puis il y a les petits-enfants qui, eux, entretiennent une relation singulière, faite exclusivement de plaisir, avec leurs aïeux. Les grands-parents libérés de l'éducation, les petits-enfants émancipés de la réponse logistique à un besoin, trouvent un équilibre dans l'affection, la gentillesse, la bonté...
Dans ce récit, il y a bien quelques images de l'amour du petit-fils pour sa grand-mère, mais trop peu à mon goût. Si j'ai admiré le personnage de Suzanne, éminemment romanesque, quand elle était plus jeune, je ne suis malheureusement pas tombée en empathie. Peut-être la faute à la forme narrative, plutôt journalistique. Si je m’y attendais d’une historienne, Dominique MISSIKA, pour « Les inséparables », j’aurais préféré très largement que Frédéric POMMIER use d’un autre registre littéraire, pourquoi pas celui du roman ?
Peut-être aurais-je le plaisir un jour de le rencontrer et de lui poser la question...
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