Il y a une maison d'édition qui se fixe comme objectifs de "plaire et instruire, changer la figure du monde".
Vous avez deviné de qui je parle ? Aux Forges de Vulcain bien sûr.
Elle vient de publier le premier roman de Jean-Baptiste de FROMENT "Etat de nature", qui incarne tout à fait ces dimensions. Il faut dire qu'elle n'en est pas à son coup d'essai, j'avais déjà eu la chance de découvrir le propos d'Alexis DAVID-MARIE avec #Martyrs français tenu sur fond de campagne présidentielle, un roman tout à fait éclairant notamment sur les partis d'extrême droite.
Là, nous voilà plongés au coeur de la Douvre inérieure, un département français, rural. La Préfète, Barbara Vauvert, la trentaine, est démise de ses fonctions sans nouvelle affectation. Le Ministre Kavasch lui communique sa révocation par téléphone alors même qu'elle s'apprête à accueillir un californien, un capital-risqueur de la Silicon Valley. Le projet Gaïapolis, entendez par-là, la première cité agricole numérique connectée, ne peut être lancé sans l'installation d'une connexion à haut débit, une véritable révolution que les vieux soldats de la politique voient d'un mauvais oeil. Ce n'est pas tant l'évolution technologique qu'ils réfutent que cette femme qui, avec son habitude d'aller à la rencontre des habitants du département, agace terriblement. Elle en connaît tous les recoins et séduit les foules avec son projet en faveur du territoire. C'en est trop, il faut la mettre hors d'état de nuire. Qui la remplacera ? Pour faire quoi ? Et si les enjeux étaient à une autre échelle, à celle de la présidentielle ?
Avec ce roman, Jean-Baptiste de FROMENT brosse le portrait d'un système politique archaïque, désuet, misogyne, dans lequel les hommes partagent, dans des cercles très fermés, leurs privilèges autour de repas bien arrosés. Le territoire, eux, ça leur parle. Ils en connaissent tous les produits et finissent par les incarner physiquement, tout rond qu'ils sont et rouges comme la bonne chair. Pour se détendre les jambes, quoi de mieux qu'une partie de chasse en forêt, histoire de faire de leurs ennemis politiques un vulnérable gibier.
Le titre suffit à évoquer l'interférence entre la politique et le règne animal. Dans "Etat de nature", il y a Etat bien sûr que l'on pourrait lire avec un M majuscule en référence à l'organe constitutif disposant du pouvoir d'autorité sur les citoyens dans un but d'intérêt général. Toutefois, accompagné du mot nature, il perd de sa superbe et, de la cour du roi, on se surprend à se retrouver au coeur d'une basse-cour de ferme. Là, nous ne sommes plus en société mais dans des temps reculés où l'homme agissait dans le simple but de satisfaire ses besoins vitaux. Les comportements sont instinctifs et dictés par la loi du plus fort. Avouons que la première de couverture représente divinement bien les combats de coqs intestins. Vous l'aurez compris, dans ce roman, c'est à la nature que Jean-Baptiste de FROMENT nous renvoie inlassablement...
La politique, comme la nature, a ses exubérances : ses herbes folles, ses excroissances dangereuses, ses plantes délirantes. p. 15
Si vous voulez faire carrière en politique, ne faites pas de vague, n'allez pas trop vite en besogne. La jeune femme, fraîche émoulue, n'avait que faire des remarques des hommes de pouvoir, ceux qui suçaient l'os de l'organisation jusqu'à la moelle. Pour elle, un seul objectif pouvait dicter son action, la défense du territoire, son développement, sa modernisation. Une fois Barbara Vauvert disparue des radars, il ne reste plus qu'aux amis de Claude, alors second à l'échelle nationale, à l'aider à sortir du bois pour montrer les résultats de son action, en faire un outil de communication, une machine de guerre pour lui assurer d'accéder au poste de Président de la République.
Si Jean-Baptiste de FROMENT dénonce les arcanes d'un pouvoir rétrograde, il met aussi habilement le doigt sur la dualité de son organisation avec la dimension politique, la plus haute fonction, et celle administrative, dite de l'expertise, réduite à l'état de second rang.
Le système tel qu'il est décrit est à s'y méprendre celui qui régit notre société d'aujourd'hui. Il y est question notamment de ces hauts fonctionnaires, ceux-là même qui soufflent à l'oreille des hommes politiques et qui se prennent à rêver, un jour, de prendre leur place. Tous sont formés dans l'unique école, laissant à vie l'empreinte d'approches standardisées. Dans le roman, ils se font même tatouer le S de l'Ecole de la Sapience sur le corps, histoire de montrer ô combien ils lui doivent fidélité.
Outre le côté narcissique du personnage de Claude, ce qui m'a intéressée, c'est son inaptitude à comprendre les citoyens dans ce qu'ils sont en mesure d'exprimer. Quand on voit le mouvement des Gilets jaunes se développer en France depuis ces dernières semaines et la révolte qui gronde, on se dit que Jean-Baptiste de FROMENT a été particulièrement visionnaire avec "Etat de nature". Il a imaginé le soulèvement de la population quelques mois avant son expression. Peut-être est-ce le fait qu'il ait, lui-même, quitté les plus hautes instances de l'Etat et pris subitement conscience de la véritable réalité des choses...
L'écrivain porte un regard satirique sur les conséquences de notre système politique. Ce roman nous parle d'inégalités, de territoire entre les villes et la campagne, d'inégalités entre les hommes et les femmes, entre les cols blancs et les métiers manuels...
S'il m'a été parfois difficile de faire la distinction entre sa lecture et celle des médias du moment, compte tenu des innombrables ressemblances, je me dis qu'il est parfois utile d'appréhender la philosophie politique par la voie des romans. "Etat de nature" tient un propos grinçant dans une plume caustique et sarcastique. Par la fiction, il permet cette prise de distance qui aide à construire des esprits éclairés et à se préserver d'un état de droit baignant dans la sauvagerie, enfin, je crois !
Je participe au
orchestrée de jolie manière par notre amie Joëlle, retrouvez mes lectures
La mer monte de Aude LE CORFF
Les miroirs de Suzanne de Sophie LEMP
Edmonde de Dominique DE SAINT PERN
D'origine italienne de Anne PLANTAGENET
Anatomie d'un scandale de Sarah VAUGHAN
Vigile de Haym ZAYTOUN
Nous aurons été vivants de Laurence TARDIEU
Médée chérie de Yasmine CHAMI
Personne n'a peur des gens qui sourient de Véronique OVALDE
Le rituel des dunes de Jean Marie BLAS DE ROBLES
Celle qui marche la nuit de Delphine BERTHOLON
La nuit se lève d'Elisabeth QUIN
Ce qui nous revient de Corinne ROYER
Les heures solaires de Caroline CAUGANT Coup de coeur
Etat de nature de Jean-Baptiste de FROMENT
Piano ostinato de Ségolène DARGNIES
et plein d'autres encore !
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