La plume de Corinne ROYER, je ne la connaissais pas. Je me suis laissée guider par le conseil de Gaëlle NOHANT, auteure de la "Légende d'un dormeur éveillé" et j'ai très bien fait.
Ce roman, c'est l'histoire de deux femmes. Il y a Louisa. Son père, Nicolas Gorki est peintre. Il a épousé une soprano, Elena Paredes, partie un jour sans retour. Louisa prépare une thèse de doctorat sur la génétique. Elle étudie le syndrome de Down. Elle entretient une relation singulière avec son maître de thèse, un professeur en fauteuil roulant qui porte sur ses épaules un lourd fardeau. C'est lui qui la met sur la voie d'une autre femme, Marthe GAUTIER. En 2016, elle a 92 ans. Elle est surnommée la Découvreuse oubliée. Cette femme a mis en évidence le chromosome surnuméraire de la trisomie 21 en 1958. Elle a été élevée à Ocquerre dans la vallée de l’Ourcq. Elle habitait la Maison des trois cheminées. Sa soeur aînée, Paulette, suivait des études de médecine. Elle l'a aidée à tracer sa voie malheureusement, son mentor décède jeune d'une balle perdue. Elle passe l'année 1955 à Harvard dans le cadre d'une bourse d’étude. A son retour d’Amérique, elle est recrutée par le Professeur TURPIN de l’hôpital Trousseau. Elle est la première à créer un laboratoire de cultures cellulaires en France. Sur le point de diffuser les résultats de ses recherches, elle se fait spolier sa découverte par un membre de l'équipe.
Ce roman résonne comme une réparation. Corinne ROYER rend hommage à une chercheure bafouée par l'un de ses proches collègues. Nous étions en 1958, les femmes peinaient à se faire une place dans le monde scientifique. Quoi de plus naturel que de s'approprier le fruit du travail de celle qui sera, toute sa vie durant, considérée comme une contributrice. Marthe GAUTIER est victime de l'effet Matilda, ce déni ou cette minimisation du travail des femmes scientifiques. Inutile de vous dire que je n'ai pas décoléré de toute cette lecture. Comment supporter qu'une femme se voit ainsi dépossédée ? J'ai été profondément touchée par les textes écrits de Marthe GAUTIER elle-même dans son petit cahier gris et qui en dit long sur son amertume.
Autrefois je l’ai ressentie, cette mécanique implacable qui fait que l’on se sent dépossédé. P. 77
Je me suis laissée attendrir par l'itinéraire de Marthe GAUTIER, j'ai beaucoup aimé découvrir cette femme, passionnée de botanique, aquarelliste, qui se plaît à citer George SAND écrivant à Flaubert :
Je prends des bains de botanique, je me porte comme un charme. P. 37
Si la littérature d'aujourd'hui évoque souvent un retour difficile dans son village d'enfance, je pense notamment au roman de Caroline CAUGANT "Les heures solaires" ou encore celui de Gautier BATTISTELA "Ce que l'homme a cru voir", Marthe GAUTIER, elle, choisit, à la retraite, un retour aux sources pour soigner ses plaies.
Et ce qui m'importe à présent, et ce qui surtout me conforte dans la décision de retourner à Ocquerre, n'est rien d'autre qu'une manière de rendre la dépossession habitable, de conjoindre sous mes pas ses fragments épars, de marcher calmement dans la nuit, une horde de fantômes en haie d'honneur. P. 79
J'ai beaucoup aimé ce roman. Il y a les confessions de la vieille dame bien sûr, infiniment émouvantes, mais il y a aussi la qualité de la plume. Dès les premières lignes, j'ai été séduite par le côté poétique de l'écriture. Les métaphores sont autant de manières de sublimer le propos.
Tout, des murs aux planchers, exsude ses humeurs tel un joyeux salpêtre aux efflorescences blanchâtres, un sel de pierres qui gagne chaque jour sa part de luminescence sur la noirceur du monde. P. 86
Corinne ROYER nous offre un roman intimiste qui mêle subtilement deux registres, la fiction incarnée par le personnage de Louisa, la réalité avec celui de Marthe GAUTIER. Il y a une certaine ingéniosité à enchevêtrer deux parcours de femmes, toutes les deux intervenant dans le domaine de la médecine, toutes les deux investies dans la recherche, mais vivant leur carrière à une cinquantaine d'années d'écart. Avec le portrait de Louisa, Corinne ROYER réussit à donner une touche de modernité à un livre qui pourrait presque être qualifié d'historique.
Elle assure la mémoire d'une Découvreuse tout en beauté, qu'elle en soit remerciée !
Je participe au
orchestrée de jolie manière par notre amie Joëlle, retrouvez mes lectures
La mer monte de Aude LE CORFF
Les miroirs de Suzanne de Sophie LEMP
Edmonde de Dominique DE SAINT PERN
D'origine italienne de Anne PLANTAGENET
Anatomie d'un scandale de Sarah VAUGHAN
Vigile de Haym ZAYTOUN
Nous aurons été vivants de Laurence TARDIEU
Médée chérie de Yasmine CHAMI
Personne n'a peur des gens qui sourient de Véronique OVALDE
Le rituel des dunes de Jean Marie BLAS DE ROBLES
Celle qui marche la nuit de Delphine BERTHOLON
La nuit se lève d'Elisabeth QUIN
Ce qui nous revient de Corinne ROYER
Les heures solaires de Caroline CAUGANT Coup de coeur
Etat de nature de Jean-Baptiste de FROMENT
Piano ostinato de Ségolène DARGNIES
et plein d'autres encore !
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