Ce document fait partie de la sélection de novembre du 50ème Grand Prix des Lectrices Elle. Il sort aujourd'hui en librairie.
Thierry ILLOUZ, avocat nous livre l'histoire de sa vie, de sa vocation pour la défense de "monstres", que dis-je, d'êtres humains qui, un jour, ont commis l'irréparable.
L'auteur déroule le fil de son existence depuis le déracinement de sa terre natale. Il n'avait qu'un an quand sa famille a décidé de s'exiler pour le protéger, lui. Il a été élevé en France avec son frère, en Picardie. Son père était policier, il incarnait la loi et tenait à la faire respecter, chez lui, nulle place à l'humain, la faille, la faiblesse, la fragilité. De là à imaginer que Thierry ILLOUZ y ait puisé les sources de sa vocation, il n'y a qu'un pas, un virage à 180° des principes inculqués par son père comme un acte de résistance, de rebellion.
Mais il n'y a pas qu'à l'égard de son père qu'il a souhaité prendre sa revanche, non, il y a aussi quelque chose qui relève de l'amertume à l'encontre d'une société qui ghétoïse les rapatriés d'Algérie dans des quartiers populaires, des zones urbaines sensibles. L'enfant timide qu'il était aurait pu s'identifier aux jeunes de son quartier, adopter leur mode de vie et de subsistance, mais c'est sans compter sur son rejet du stéréotype de l'immigré coupable de tous les maux.
Je crois que nous ne décidons que de cette manière, par les visages, par le mélange, par les lieux, les mots entendus, les regards qu’on a portés sur nous. P. 20
Alors, il va tracer sa voie, se former au métier d'avocat et décider du public qu'il servira. Il sera le défenseur de ceux qui sont dans le box des accusés. Bien sûr, il y a les victimes pour lesquelles il ressent un profond respect mais sa place n'est pas là. Non, lui veut comprendre ces hommes et ces femmes qui, à un moment de leur vie, basculent.
Thierry ILLOUZ va, tout au long du document, égrener les définitions qui sont les siennes du verbe défendre.
Il va mettre la focale d'abord sur la nécessité de dire, d'exprimer, de formuler, d'exposer les faits reprochés. Nulle intention de sa part de les cacher :
Défendre, ce n’est pas masquer mais dévoiler. P. 47
Et puis, il y a cette volonté qui l'a toujours animée, celle de comprendre. Qu'est ce qui fait qu'un jour, un homme, une femme, soit pris d'un sursaut de violence au point de commettre des faits totalement inimaginables pour un être raisonnable ? Dans chaque individu qu'il est amené à défendre, il cherche ce qui a pu justifier son action.
Défendre, c’est comprendre ce qui se trouve derrière les gestes, derrière les comportements [...] P. 52
Lui-même sait ô combien son itinéraire aurait pu être différent si... et pourtant, il a choisi de porter la robe et de servir celles et ceux qui sont considérés comme des "monstres" aux yeux du commun des mortels. Le propos de Thierry ILLOUZ est profondément humaniste. Celles et ceux qu'il défend sont faits de chair et d'os, ce sont nos semblables, ni plus ni moins. Il nous incite à les considérer tout simplement, les reconnaître comme des hommes et des femmes, ce qu'ils n'ont jamais cessé d'être.
Enfin, il s'attache à la notion du mal et au risque trop grand de se voir considéré, lui, l'avocat, par la société tout entière, comme la caution de ce qui a été commis.
Défendre n’est pas épouser le mal, ni la faute, ni le crime, jamais. Défendre, c’est ôter au mal toute chance d’être le mal, c’est-à-dire une idée réfractaire à toute compréhension, à toute histoire. P. 101
Thierry ILLOUZ attire l'attention du lecteur sur les travers d'une justice aujourd'hui hyper-médiatisée, une justice qui tend de plus en plus à être prononcée non pas par des "hommes de loi" mais par la société civile, avide qu'elle est de la presse à scandale. Mathieu MENEGAUX l'avait illustrée dans "Est-ce ainsi que les hommes jugent ?" mais il s'agissait d'une fiction. Là, le propos prend son ancrage dans une réalité qu'il dénonce.
L'écrivain nous livre une véritable plaidoirie. Il y a les faits et puis, les droits des accusés, et enfin, leurs prétentions. Thierry ILLOUZ, dans un exercice littéraire, signe un acte militant en faveur de celles et ceux sur qui nous devons oser porter le regard, une véritable leçon de vie qui prend appui sur la bienveillance, l'indulgence, l'écoute, la disponibilité, la compréhension.
Homme de loi, Thierry ILLOUZ est aussi un homme de lettres. Ecrivain et dramaturge, il use d'une plume franche, sincère, droite et loyale, pour servir la cause des stigmatisés, des relégués...
Même si ce qui est dénoncé a déjà pu être dit, écrit, "Même les monstres" a la force de la personnalisation, de quoi nous offrir quelques moments de méditation.
Retrouvez toutes mes lectures dans le cadre du Grand Prix des Lectrices Elle 2019 :
- "La douce indifférence du monde" de Peter STAMM, roman, sélection de nov.
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