Christian Bourgeois éditeur
Traduit de l'allemand par Pierre DESHUSSES
Ce roman fait partie de la sélection de novembre du 50ème Grand Prix des Lectrices Elle.
Je vous dis quelques mots de l'histoire :
Un vieil homme, hébergé en maison de retraite, est hanté par des images de Magdalena, une femme dont il a été passionnément amoureux, avec qui il a passé trois années de sa vie et sur qui il a écrit un livre. Il se lève, va à la fenêtre, voit Magdalena qui l'invite à le suivre. Nous sommes à Stockholm, il fait froid, le paysage est enneigé, le vieil homme a quitté sa chambre précipitamment, tout endimanché pour séduire sa belle, il en a oublié sa canne. Elle est encore jeune, lui, a dû mal à se déplacer. Et puis, il y a ce rendez-vous dans un cimetière de la ville. L'homme veut lui raconter une histoire, à Magdalena, à moins que ça ne soit Lena, une femme qui lui ressemble à s'y méprendre.
Je dois l'avouer, je ne connaissais pas l'univers de Peter STAMM avant cette lecture, je m'y suis plongée à m'en délecter.
Ce roman évoque la rupture amoureuse et le sentiment d'abandon qui meurtrit l'âme et le corps, l'absence de l'être cher qui avec le temps et l'âge se voit fantasmé. Le narrateur est profondément nostalgique de cette passion partagée avec Magdalena, comédienne. Il se souvient de ces moments de bonheur, portés qu'ils étaient par l'ardeur de leur relation. J'ai été profondément touchée par les empreintes laissées à jamais par l'être aimé :
C’était peut-être pour ça que je m’y sentais bien, ma vie aussi était une pièce vide où seules les ombres sur les murs révélaient qu’elle avait été habitée un jour. P. 92
L'auteur choisit la voie de la métaphore pour aborder les traumatismes psychiques de l'être délaissé, la mélancolie, le chagrin et l'isolement.
A l'époque de la rupture, le narrateur avait déjà l'idée d'écrire un livre et de faire de sa compagne un personnage de roman. Entre fiction et réalité, le personnage a sombré. C'était il y a 16 ans et déjà, le trouble était semé dans l'esprit du narrateur, épris d'une femme dont il ne réussissait plus à mesurer les contours.
En réalité j’avais peur que Magdalena me redevienne étrangère, que le personnage fictif puisse définitivement prendre le pas sur le personnage réel. P. 64
Le mal n'a fait que s'aggraver avec le temps pour laisser place à une nouvelle forme de confusion. Au gré des conversations du narrateur avec Magda(Lena), Peter STAMM nous livre les fragments d'une vie. Il suffit d'un mot, d'une image, pour que les souvenirs ressurgissent et qu'ils donnent lieu à un conte. L'auteur explore la capacité du cerveau à mémoriser dans le détail des instants qui devront inoubliables, ou presque.
Et si cette histoire se conjuguait aussi au présent ? Lena et Chris ne suivent-ils pas à quelques écarts près le même itinéraire ? Leurs existences ne sont-elles pas marquées par les mêmes lieux ? Et si ces coïncidences qui paraissent fortuites étaient en réalité au service d'un destin tout tracé ? Peter STAMM donne ainsi au roman une portée philosophique et pose la question de notre liberté. Sommes-nous responsables de nos actes ou bien les marionnettes d'un être supérieur qui orchestrerait nos vies jusqu'à décider de la date de notre mort ?
Dans un registre onirique, Peter STAMM montre son immense talent narratif. L'énigme est entretenue jusqu'à la toute dernière page, la plume est sensuelle et délicate, le jeu de l'écriture est parfaitement maîtrisé, le lecteur est sous tension.
Je me suis littéralement laissée porter par cette histoire, nul doute qu'elle va me poursuivre encore longtemps !