Traduit par Éric BOURY
Ce roman fait partie de la sélection de novembre du 50ème Grand Prix des Lectrices Elle. Autant vous l'avouer dès maintenant, c'est un coup de coeur.
Ce livre m'a profondément bouleversée.
Je vous dis quelques mots de l'histoire.
Nous sommes dans les années 1950 à Reykjavik en Islande. Helga a 19 ans, Sigvaldi 30. Ils vivent le parfait amour. Ils ont une enfant de 7 mois. Une nouvelle grossesse se profile. Ils cherchent un prénom pour le bébé à venir, une autre fille. En mémoire d'une lecture qu'ils avaient partagée, « Gens indépendants » de Halldór LAXNESS (Prix Nobel de littérature), et qui les avait beaucoup émus, ils choisissent Ásta. A une lettre près, le prénom de la fillette aurait signifié "amour", mais voilà, cette lettre va faire toute la différence ! La grossesse d'Helga est marquée par ses crises de nerfs, un peu comme si la maternité faisait resurgir le passé et tourmentait les âmes par des souvenirs douloureux. Avec la naissance, les sentiments s'apaisent malgré une vie de famille chahutée par une économie en perte de vitesse. Sigvaldi est contraint d'exercer deux métiers pour permettre à sa femme et ses enfants de vivre. Il est marin. Il est peintre en bâtiment aussi, il a monté son entreprise avec un associé. D'ailleurs, un jour il tombe d'une échelle. Un peu sonné, il se remémore les bons moments de son existence. Il culpabilise aussi. S'il n'avait pas été un bon père pour sa fille...
Ce roman d'apprentissage est absolument EXTRAordinaire.
Dès la première page, j'ai été totalement happée par le tourbillon des destins qui se croisent, se lient, se délient, se relient, perturbés qu’ils sont, comme le climat islandais. Il y est question d'amour, de passion, l'incandescente, celle qui brûle, enflamme, et s'éteint pour ne plus laisser derrière elle que quelques cendres. Mais c'est sans compter, parfois, sur un léger souffle qui suffit à rallumer le tison que l'on croyait à jamais disparu. Jón Kalman STEFANSSON illustre parfaitement la fureur de la passion amoureuse, les hauts, très hauts, et les bas, très bas. Il n'y a pas de demi-mesure, juste l'immense sensation d'exister.
Avoir hâte. Surtout quand il s’agit de retrouver une personne qui vous est chère. Alors, on se sent vivant. P. 217
Dans ce roman dont la construction narrative est exceptionnelle émerge un certain rapport au temps. Il y a d'abord celui qui prend appui sur les deux générations de couples, Helga et Sigvaldi d'une part, Ásta et Josef d'autre part. Mais il y aussi celui qui se déploie au rythme des sentiments, tantôt il y a urgence à vivre, assouvir sa passion, chaque minute, chaque heure compte, tantôt les mois, les années, s'étirent inlassablement.
Nous avons tant à faire que parfois, on dirait que notre existence va plus vite que la vie elle-même. P. 42
Enfin, j'ai été profondément touchée par cette espèce de déterminisme dans les générations de femmes, un peu comme si, avec la filiation, elles se transmettaient une partie de leur histoire qui se répéterait indéfiniment. J'avais déjà mesuré cette fragilité dans le roman de Lenka HORNAKOVA-CIVADE et ses "Giboulées de soleil".
Mais là, sous la plume de Jón Kalman STEFANSSON, la tragédie devient une fatalité, emportant tout sur son passage, y compris la raison. L'histoire d'Ásta est ponctuée par des périodes de profonde dépression, certaines réalités sont trop lourdes à porter.
L’ignorance vous rend libre alors que la connaissance vous emprisonne dans la toile de la responsabilité. P. 264
L’exercice littéraire est époustouflant dans la maîtrise des scénarios. Ce roman fait un peu plus de 490 pages, j'aurais aimé qu'il en fasse 100, 200, 300 de plus, totalement habitée que j'ai été par le personnage d'Ásta.
A saluer également la qualité de la traduction proposée par Eric BOURY, juste prodigieuse !
Ásta fait partie des INCONTOURNABLES de cette rentrée littéraire.
Retrouvez toutes mes lectures dans le cadre du Grand Prix des Lectrices Elle 2019 :
La douce indifférence du monde de Peter STAMM, roman, sélection de nov.
Même les monstres de Thierry ILLOUZ, document, sélection de nov.
La neuvième heure d'Alice McDERMOTT, roman, sélection de nov.
Ce roman concourt au Challenge 1% rentrée littéraire organisé par Délivrer des livres, tout comme :
Cette maison est la tienne de Fatima FARHEEN MIRZA *****
Chien-loup de Serge JONCOUR Coup de coeur
L'hiver du mécontentement de Thomas B. REVERDY *****
Lèvres de pierre de Nancy HUSTON Coup de coeur
Les exilés meurent aussi d'amour d'Abnousse SHALMANI *****
Quand Dieu boxait en amateur de Guy BOLEY *****
Hôtel Waldheim de François VALLEJO *****
Le Grand Nord-Ouest d'Anne-Marie GARAT *****
37, étoiles filantes de Jérôme ATTAL *****
Je, tu, elle d'Adeline FLEURY ****
La douce indifférence du monde de Peter STAMM *****
La neuvième heure d'Alice McDERMOTT *****
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