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Bienvenue au cœur d'une famille iranienne qui a fui son pays d'origine au moment de la révolution. Arrivée en France, elle est accueillie chez une sœur expatriée, ainsi, rapidement, un immeuble parisien est occupé sur trois étages. Cette nouvelle vie est explorée à travers le regard d'une enfant, la narratrice. Elle a 9 ans et peine à trouver sa place, alors, elle élit domicile sous le canapé. De là, elle peut écouter toutes les conversations, regarder la télévision, voir les films cinématographiques (la famille est une passionnée). Le premier, ce sont "Les valseuses", un film éminemment connoté, le ton est donné !
L'écrivaine nous livre un roman croustillant, fait de rebondissements, bourré d'anecdotes toutes plus drôles les unes que les autres, à moins qu'elles ne soient profondément tristes. Immanquablement, Abnousse SHALMANI puise dans sa vie personnelle les ingrédients d’un roman qu’elle déroule sur une vingtaine d'années, relatant ainsi l'enfance, l'adolescence et les premières années de la vie d'adulte de la narratrice. Shirin ressemble à s’y méprendre à Absnousse, cette fillette née à Téhéran en 1977 et qui met le pied en France en 1985. L’auteure en fait un personnage de roman né d'une mère militante en Iran, elle a tous les traits d'une jeune fille rebelle, elle regarde la réalité avec lucidité et qui entend, chaque fois qu'elle le peut, donner son avis et le partager, ce qui lui vaut les brimades de ses tantes qui voient là une enfant espiègle et insolente.
Ce roman, c'est un très bel hommage d'une fille à sa mère. L'enfant voit ô combien sa mère s'évertue à faciliter la vie de sa famille, élargie, elle s'attache à préparer les repas pour tous, que personne ne manque jamais de rien, en France, c'est le sens qu'elle donne à son existence. La petite fille pense que sa mère n'est pas reconnue pour tout ce qu'elle fait, jamais de merci, jamais de compliments, elle en est froissée, elle s'indigne devant une mère humiliée et lui offre cette belle preuve d’amour. Elle en fait une artiste qui, à partir d’accessoires récupérés, crée de toutes pièces un nouveau décor, tout en beauté. Mais l’amour est souvent complexe et prend à l’âge adolescent une nouvelle dimension. Elle en veut aussi beaucoup à sa mère de ne pas se faire respecter des autres, de ne pas sauver sa dignité, et se construit elle-même sa personnalité.
Avec « Les exilés meurent aussi d’amour », Abnousse SHALMANI s’attache à nous livrer mille et une définitions du mot "exil" dont son itinéraire est lui-même largement imprégné. Personnellement, j'aime beaucoup celle qu'elle emploie en tout début de roman et qui n'a pas manqué de se vérifier tout au long de son livre :
L’exil, c’est d’abord ça : un espace confiné, entouré d’un monde inconnu et vaste, et d’autant plus inaccessible qu’il paraît impossible de s’échapper de la cage où s’amassent les restes misérables du pays natal. P. 18
Par la voie de cette famille, elle démontre subtilement l'emprise du passé sur la trajectoire des exilés, se rappelant indéfiniment à la mémoire des êtres. Il suffit d'observer les intérieurs pour s'en convaincre, les quelques menus objets qui ont été préservés lors du périple sont comme autant de témoins du pays d'origine et de ses traditions, les parfums de la cuisine que prépare la mère préservent ce qui peut être sauvé et solidarisent les membres d'une communauté établie loin de son pays d'origine, le respect des traditions rythme une vie qui peine à trouver ses repères dans un pays où tout reste à découvrir.
J'ai été profondément sensible à l’évolution des rôles au sein de la famille par la voie de l’écriture. L’enfant endosse le costume d’écrivain public à l’âge de 10 ans. Avec lui, les postures évoluent induisant la remise en cause de l'autorité parentale au profit de la jeune génération qui, précocement, devient responsable de l'avenir de tous.
Dans le même ordre d'idée, j'ai été séduite par l'approche des mots. L'écrivaine nous en livre un bien bel objet :
Et c’était exactement à ça que servaient les mots, tous les mots : à colorer autrement les humains en leur donnant une forme nouvelle. P. 59
Avec les mots, la voie de l'interculturalité est toute tracée. Pouvoir nommer, désigner, qualifier... permet de comprendre, cerner, appréhender les autres dans ce qu'ils ont d'humain, de subtil et complexe. Bien sûr, en littérature, ils constituent le matériau incontournable, mais dans la vie, ils le sont tout autant. J'aime quand une fiction croise le chemin de la réalité et vient l'enrichir d'un tout nouveau regard, qui plus est, gracieux. Abnousse SHALMANI est profondément humaniste, elle aime les gens et leur voue une attention tendre et bienveillante. De là à assurer leur mémoire, il n’y a qu’un pas !
Raconter, c’est forcer les gens à ne pas oublier. P. 134
Ce roman est absolument truculent, il est joyeux, drôle et surprenant, je vous invite à le lire absolument !
Ce roman concourt au Challenge 1% rentrée littéraire organisé par Délivrer des livres,
tout comme :
- "Cette maison est la tienne" de Fatima FARHEEN MIRZA, *****
- "Chien-loup" de Serge JONCOUR, coup de coeur
- "L'hiver du mécontentement" de Thomas B. REVERDY, *****
- "Lèvres de pierre" de Nancy HUSTON, coup de coeur
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