J-5 pour cette sortie événement en librairie, je n'ai pas pu résister jusqu'au 22 août !!!
La rentrée littéraire est un bon moment pour retrouver des plumes auxquelles on voue une fidélité inconditionnelle. Assurément, celle de septembre 2018 sera marquée par la sortie du tout dernier JONCOUR, Serge, vous le connaissez bien sûr ! Il y a eu « Repose-toi sur moi », « L’amour sans le faire »…
Et si vous ne le connaissez pas encore, rendez-vous au plus vite dans votre librairie préférée pour commander « Chien-loup » !
Tout commence avec le projet de Lise de passer 3 semaines de vacances, en août, coupée du monde. Son compagnon, Franck, producteur de cinéma, redoute plus que tout la déconnexion, entendez par-là l’absence totale de réseau internet et téléphonique. Ils vivent ensemble depuis 25 ans. Ils n’ont pas d’enfant. Elle, s’est battue l’année passée contre un cancer. Lui, est en admiration devant son courage. Face à l’époque contemporaine, résonne le tocsin dans tous les villages de France. Nous sommes en 1914, la mobilisation des hommes et des animaux est engagée. Mais Wolfgang Hollzenmaier du cirque Pinder n’entend pas sacrifier ses félins. Il s’est déjà vu réquisitionner trois éléphants comme bêtes de somme pour se substituer aux bœufs partis au front. Il arrive dans le village d’Orcieres-le-Bas et élit domicile dans la maison de la colline du Mont d’Orcières. Le mugissement des animaux bruit dans la vallée, apeurant femmes et enfants restés dans la vallée. Quand des brebis commencent à disparaître des troupeaux, les soupçons sur l’homme, un allemand, nourrissent la rumeur jusqu’au jour où… là commence alors une toute autre histoire.
Commencer un roman de Serge JONCOUR, c’est accepter de s’offrir un périple littéraire aux gré d’histoires diverses et variées s’imbriquant lentement toutes les unes dans les autres comme autant de poupées gigognes, un pur régal.
Il y a bien sûr l’histoire de Lise et Franck, un couple moderne qui vit avec son temps, connecté jour et nuit, pour le meilleur et pour le pire. Franck travaille dans le milieu cinématographique qui se nourrit de l’innovation, les nouvelles technologiques y occupent peut-être là plus qu’ailleurs une place de choix. Elles lui permettent des relations insoupçonnées propices au développement et à la promotion de son art. Mais, ce qu’il voit moins, c’est à quel point il est devenu, lui en tant qu’individu, et le 7ème art en général, totalement dépendants de l'urgence à communiquer, réaliser et regarder. Le cinéma tout entier est confronté à une révolution incarnée par le géant Netflix dont l'écrivain dénonce les pratiques, le propos est militant et combat les travers d'un système dévastateur qui agit comme un destructeur de la création.
De la culture de masse, Serge JONCOUR nous emmène subtilement sur la voie de l’addiction individuelle et nous fait prendre conscience du facteur temps rendu nécessaire pour chacun pour se dé-connecter des réseaux sociaux, pour se libérer de leur toxicité. J’ai adoré personnellement la sérénité, le calme et la paix intérieure, de Lise, mais à quel prix ? Franck réussira-t-il à relever le défi, je ne vous donnerai aucun indice mais l’itinéraire de l’homme mérite à lui seul d’être parcouru.
Et puis, il y a la guerre, cette page de notre Histoire relatée dans une région de France que Serge JONCOUR affectionne tout particulièrement, un paysage de montagne où le climat est particulièrement hostile. Il rend hommage aux femmes qui, avec le départ des hommes, n’eurent d’autre choix que se soumettre aux travaux de force habituellement réservés au sexe fort. Elles prirent le relais avec dignité et courage, elles se livrèrent aux moissons et autres travaux des champs pour assurer la survie de leur progéniture. Les temps étaient durs et l’angoisse de recevoir de mauvaises nouvelles du front pesait de tout son poids dans chacun des foyers. Et quelle ingéniosité que d’imaginer cette histoire de l’allemand dresseur de fauves, en résistance avec l’occupant, à chacun sa guerre mais tous vivent sous le joug de l’oppression, c’est une réalité. L’écho du rugissement des animaux de cirque entretient la terreur de tout un peuple, j’en frissonne encore.
Mais là où l’écrivain joue avec nos nerfs, c’est quand il fait entrer un chien-loup dans le bal, un molosse dont les premières apparitions se font dans le falot de la lampe torche de Lise et Franck, ses yeux comme deux points lumineux dans une nature hantée par un passé douloureux. La maison de vacances est maudite depuis que le phylloxéra, un insecte, ravagea les vignes du secteur, pourtant présentes depuis 2000 ans, causant aussi la perte du couple de vignerons qui y habitait. Du grand incendie qu’ils lancèrent, les villageois ne sauvèrent que la maison et les quelques arbres l’entourant. Le roman revêt à cet instant une part de mystère qui va s’installer dans le récit et trouver tous ses repères dans une intrigue tenue par une main de maître.
Avec l’approche de la bête, sa présence, ses expressions aussi, Serge JONCOUR nous livre un hymne au règne animal, il nous fait prendre conscience de sa sensibilité au monde extérieur, sa réceptivité dont l’homme pourrait apprendre beaucoup s’il en acceptait, un tant soit peu, de s’y soumettre.
Dans l’animal le plus tendre dort toute une forêt d’instincts, des muscles prêts à courir, des mâchoires prêtes à l’entaille et des dents prêtes à déchirer. P. 411
Derrière la double personnalité de l’animal, l’écrivain fait émerger celle de l’être humain, celui-là même qui, coupé de sa réalité quotidienne, peut, au contact de la nature, se ressourcer, retrouver sa vraie personnalité, épurée des artifices du monde extérieur.
Au moins dans ces prairies [...] elle découvrait à quel point il est rare et précieux de n’exister que par soi-même et de ne plus être atteinte par le regard de personne. P. 398
J’ai été tellement sensible à l’harmonie du corps et de l’âme de Lise et le chemin parcouru par Franck dans l’apprivoisement de son environnement naturel. Ce roman est une ode à l’observation, la contemplation, la réflexion et la méditation. Chaque élément trouve progressivement sa place jusqu’à résonner profondément dans nos tripes, je m’en délecte.
Il y a parfois des lieux qui nous mettent mal à l’aise dès qu’on y met les pieds, et d’autres qui nous accueillent, qui vous adoptent, comme s’ils nous attendaient. P. 73
Cerise sur le gâteau, quand Serge JONCOUR explore l’homme jusque que dans ses tréfonds et qu’il confronte le couple à la relation amoureuse, c’est un propos juste, sensible, délicat. Si lui en doute et qu’il ne sait encore où la sortie de la zone de confort peut bien mener Lise et Franck, je puis lui assurer que j’ai vibré à chaque phrase un peu plus jusqu’à les accepter comme une évidence…
C’est peut-être ça un couple, avoir irrémédiablement besoin de l’autre, être fondé en partie sur lui, sachant que selon les circonstances, ce sera à l’un ou à l’autre d’assurer, en fonction des échecs et des réussites, sans quoi il n’y aurait plus d’équilibre. P. 61
Et là, peu importe l’époque, le voyage dans le temps que nous propose l’auteur, passant d’une période à une autre avec une telle habileté, montre à quel point le discours est universel.
L’épopée, éminemment romanesque, dote de ce livre historique, moderne, familial, psychologique, environnemental… d’une richesse incommensurable, c’est un énorme coup de cœur.
Surtout, ne passez pas à côté !
Ce roman concourt au Challenge 1% rentrée littéraire organisé par Délivrer des livres,
tout comme :
- "Cette maison est la tienne" de Fatima FARHEEN MIRZA, *****
- "Les exilés meurent aussi d'amour" d'Abnousse SHALMANY, *****
- "Lèvres de pierre" de Nancy HUSTON, coup de coeur
- "L'hiver du mécontentement" de Thomas B. REVERDY, *****
commentaires