Ce premier roman, qui sort aujourd'hui en librairie dans le cadre de la rentrée littéraire, ne fera pas partie de la sélection des 68 Premières fois, tout simplement parce qu’il est étranger, mais la qualité de la plume de l’écrivaine, et de sa traductrice, aurait pu le voir sélectionné par nos fées.
Je vous dis quelques mots de l’histoire.
Le roman s’ouvre sur une scène de mariage. Hadia, la fille aînée de Layla et Rafiq, originaires de Hyderabad en Inde, épouse Tariq. La sœur de la mariée, Huda, est aux côtés de Hadia. Toutes les deux sont inquiètes du déroulement de la cérémonie. Amar, leur frère, est parti sans laisser d’adresse il y a trois ans. À la demande de la mariée, il a répondu présent mais Dieu seul sait de quoi il est capable. Le père se tient à distance, il respecte l’ordre intimé par sa femme. Leur mariage a eux était arrangé. Elle a suivi son mari aux Etats-Unis, ce pays où ils ont tout construit ensemble. Comment ont-ils pu en arriver là ? Cette question les taraude. Au fil de leurs réflexions, le fil de l’histoire familiale se déroule...
Ce roman nous plonge dans l’intimité d’une famille exilée depuis l’Inde vers les Etats-Unis. Les enfants sont tous les trois nés sur le sol américain, deux filles et un garçon. J’ai beaucoup aimé l’approche subtile de la langue, celle qui est maternelle parlée dans l’intimité et celle du pays d’adoption.
En l’entendant parler ourdou, Hadia se détend : les mots sont les mêmes mais l’effet est différent. P. 227
Je me souviens des propos tenus par Lenka HORNAKOVA-CIVADE lors de sa venue à Angers. Elle expliquait alors qu'elle n'aurait jamais pu écrire "Giboulées de soleil" dans sa langue maternelle, elle aurait été beaucoup trop émue pour pouvoir en faire un roman. C'est donc bien de la résonnance des mots, et de la sensibilité induite, dont il est question, quelque chose qui compose le quotidien des exilés.
Les enfants ont été élevés par une famille musulmane, pratiquante. Leur éducation est binaire, elle est édifiée sur le principe manichéen du bien et du mal, du halal et du harram, mais si les différences étaient aussi marquées, ça se saurait n'est-ce pas ? La vie est beaucoup plus complexe et bientôt le château de carte se fragilise. Le garçon ne fait rien comme ses sœurs, il a des difficultés à l’école alors que les filles sont brillantes, il remet en cause la parole de ses parents alors que les filles font preuve d'une docilité remarquable, il prend ses distances vis-à-vis de la religion et s’autorise à boire, consommer de la drogue, alors que Hadia et Huda respectent scrupuleusement les valeurs religieuses. Le comportement d'Amar sème le doute dans l'esprit de ses parents qui perdent progressivement leur autorité sur lui jusqu'au jour où...
Personnellement, ce qui m'a profondément touchée, c'est le sentiment d'injustice ressenti par l'aînée de la fratrie, Hadia, la mariée. Ce qu'elle faisait n'était jamais assez bien alors que le petit, Amar, lui, se voyait largement remercié d'un petit doigt levé, aussi rare soit-il. Dans cette famille, le culte du garçon est nourri à satiété, comme dans les familles de la communauté indienne du roman. Là, nulle référence à un déterminisme social, urbain... non, seulement l’emprise de la religion sur l’éducation des enfants.
Mais les filles ne sauraient se contenter aujourd’hui de ce modèle et par la voie de leur scolarité, elles montrent à quel point elles peuvent rivaliser avec les garçons et, au final, occuper une place digne dans la société. Les deux filles, dans ce roman, ont le même parcours, la même docilité dans les tâches quotidiennes, la même assiduité à l’école mais aussi des convictions à défendre. Hadia a exigé que hommes et femmes vivent ensemble les festivités du mariage, et non séparés comme cela se passe traditionnellement. Ses parents n'ont pas eu le choix. Plus jeune, Hadia s'était déjà évertuée à les défier et avait apprécié ô combien la prise d'initiative peut se révéler savoureuse :
Un jour, elle avait teint en bleu une mèche de ses cheveux, quel délicieux frisson de prendre sa vie en main, même d’une si infime manière. P. 308
C’est un roman familial dont la narration est exigeante, passant ainsi d’un personnage à un autre, d’une époque à une autre, rythmée qu'elle est par la réminiscences des souvenirs. Elle devient naturelle dès lors que vous acceptez d'y passer quelques heures à suivre, de vous immerger dans cette histoire foisonnante.
La plume de Fatima FARHEEN MIRZA est prometteuse, elle maintient le suspense au fil du livre et nous offre un quatrième et dernier chapitre surprenant mais réussi. Elle aurait toutefois pu se passer de quelques pages, je crois, et sortir des stéréotypes largement véhiculés de filles respectant les convenances communautaires et de garçons rebelles. J'aurais personnellement aimé, dans une fiction, que l'écrivaine puisse rompre avec les idées reçues et sortent des sentiers battus pour ouvrir le champ des possibles.
Ce roman concourt au Challenge 1% rentrée littéraire organisé par Délivrer des livres !
- "Chien-loup" de Serge JONCOUR, coup de coeur
- "Les exilés meurent aussi d'amour" d'Abnousse SHALMANY, *****
- "Lèvres de pierre" de Nancy HUSTON, coup de coeur
- "L'hiver du mécontentement" de Thomas B. REVERDY, *****
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