Traduit du japonais par Rose-Marie MAKINO-FAYOLLE
Renouer avec l'univers littéraire de Yoko OGAWA, c'est assurément s'envoler pour un voyage merveilleux bercé par le registre onirique, j'avoue, je suis une inconditionnelle de cette plume.
Je vous dis quelques mots de l'histoire :
Une famille est frappée par un terrible drame, la mort d'une enfant alors qu'elle n'avait que trois ans. Jouant au jardin public, un chien lui a léché le visage. Le lendemain, une forte fièvre se déclare et emporte la toute petite fille. Le père travaille dans une maison d'édition spécialisée dans les encyclopédies illustrées. La mère, douloureusement affectée par cette disparition, décide de tout quitter et d'emmener ses trois autres enfants dans une propriété familiale, cernée de hauts murs. Là, elle leur offre une nouvelle forme d'éducation, à l'abri des regards. Elle leur intime l'ordre de ne pas franchir les murs, le chien maléfique pouvant revenir à tout moment. Pour accompagner leur mutation, elle leur donne de nouveaux prénoms inspirés de l'univers minéral, Opale, Ambre et Agate. Elle trouve un travail auprès des thermes du village. Pendant son absence, les enfants se cultivent au gré de leurs découvertes dans les encyclopédies de leur père et de leur exploration du vaste jardin qui leur est offert jusqu'au jour où un homme sonne à la porte, Joe, marchand ambulant. Là commence, pour eux, une toute nouvelle existence.
Derrière cet enfermement, d’aucuns pourraient y voir un emprisonnement, une privation de la liberté de mouvement, une séquestration, la double peine en quelque sorte, j’y ai personnellement vu une immense preuve d’amour, comme un baume offert par cette mère à ses enfants pour panser leurs plaies. Il y a une question de survie dans l’urgence à agir, proposer une alternative à la vie d’avant empreinte de cette tragédie, et une perspective de résilience aussi.
Et puis, en dehors du fait de devoir se conformer à l’interdiction de sortir, les enfants baignent dans un bonheur préservé du mal de nôtres société. Ils apprennent par eux-mêmes, font des expériences, se confrontent avec la nature. J’ai été particulièrement sensible aux liens qui unissent cette fratrie, la solidarité mise en place et leur force pour surmonter l’indicible.
Chaque membre de la fratrie endure la tristesse expérimentée par l’ensemble. P. 38
Elle pratique au quotidien une certaine éducation loin des formats académiques, elle cultive avec eux cette nécessité de regarder, d'approfondir, d'analyser par soi-même.
En réalité, il a sa manière bien à lui d’observer le monde, différente de celle des autres. Il ne se contente pas de regarder le point qui se trouve présentement devant ses yeux : il accueille aussi la continuité des instants passés et à venir. P. 28
Et puis, avec Yôko OGAWA, nous sombrons dans la féerie. Que ça soit avec la danse par exemple, la passion d’Opale, une discipline artistique qui prend, sous la plume de l’écrivaine, ses plus beaux costumes. Les descriptions sont tout en délicatesse, raffinement et sensualité.
Chaque fois que ses jambes parfaitement tendues dispersaient les feuilles mortes, que l'extrémité de ses doigts allait saisir un point dans l'espace, sa colonne vertébrale ployant pour dessiner une courbe élégante, l'une après l'autre les cavités dissimulées au fond de l'obscurité prenaient du relief. P. 14
Enfin, ce qui me séduit toujours avec cette auteure, c’est sa capacité à décrire le monde, sans sa plus profonde sensibilité. Tous les sens sont en éveil.
Une nouvelle fois, ce roman de Yôko OGAWA est un petit bijou de la littérature, tout comme Amours en marge, La marche de Mina, Cristallisation secrète... et beaucoup d'autres m'attendent encore !
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