Traduit de l'anglais (américain) par Marie CHABIN
Je vous l'annonce tout de go. Ce roman est un immense coup de coeur.
Vous me connaissez maintenant, il y a ceux qui remplissent tous les critères de ma grille d'évaluation : une page de l'Histoire + un volet artistique + du suspense + une qualité de plume remarquable. Là, rien de mathématique, ce roman fait voler, à lui seul, l'archétype du coup de coeur. Dès les premières pages, j'ai frissonné, j'ai vibré, j'ai été happée par l'histoire, j'ai été émue, de bonheur et de tristesse, bref, tout au long de cette lecture de 587 pages, j'ai été en fusion parfaite avec les personnages.
Je vous dis quelques mots de l'histoire :
Ruth a toujours voulu être sage-femme, depuis sa plus tendre enfance, enfin, depuis que, petite fille, elle a assisté à l'accouchement de Madame Hallowell chez qui sa mère travaillait comme domestique. Nous sommes aux Etats-Unis. Ruth est africaine-américaine. A force de ténacité et de convictions, Ruth a réalisé son rêve. Elle est diplômée et a accompagné la naissance de nombreux bébés en 20 ans d'expérience. Sa vie bascule pourtant après l'examen ordinaire du nourrisson de Britt et Türk. En remettant le bébé dans les bras de la maman, Ruth fait part aux parents d'une présomption de souffle au coeur. Rien de grave. Mais le père réagit brutalement, il exige un entretien avec sa supérieure hiérarchique. La sanction tombe. Ruth a désormais l'interdiction de s'occuper du bébé. Elle est noire, les parents font partie de l'Empire Invisible qui mène une guerre des races. La faille du système s'ouvre sous ses pieds, l'alternative n'est pas négociable. Ruth continue tant bien que mal à faire son travail, perturbée par cette discrimination, une de plus il est vrai, jusqu'au jour où l'effectif est réduit. Le bébé de Britt et Türk vient de subir une circoncision, un acte bénin, qui exige toutefois une présence constante du personnel médical. Ruth est là, une collègue lui donne l'ordre de s'en occuper. Quelques minutes plus tard, les battements du coeur de l'enfant s'arrêtent !
Je ne vous en dis pas plus.
Vous haletez ? Vous voulez savoir ? Votre coeur, à vous, s'emballe ? C'est exactement la sensation qui m'a habitée moi-même pendant la lecture de ce roman. Pas une seule page ne vous laissera en paix !
Côté rythme, suspense, vous l'avez compris, vous allez être servi(e)s.
Nul doute aussi que vous allez vous émouvoir. Ce roman choral donne alternativement la parole à Ruth, l'infirmière sage-femme, Kennedy, une avocate de la Défense publique qui va s'investir dans sa protection, et Türk, père du bébé et skinhead. Le jeu de la narration permanente à la première personne du singulier, un exercice littéraire ici parfaitement maîtrisé, va vous faire endosser le costume tantôt d'une femme, tantôt d'un homme, tantôt d'une noire, tantôt d'un blanc, tantôt d'une victime, tantôt de l'avocate de la défense, tantôt... je pourrais vous faire une liste incommensurable.
En réalité, nous sommes tous pluriels. Ruth est aussi la fille de quelqu'un, c'est aussi une soeur, c'est aussi une mère elle-même, c'est aussi une femme veuve d'un mari décédé en Afghanistan, il était soldat et a sauté sur une mine. Jodi PICOULT va jouer à l'envi avec tous ces rôles, toutes ces conditions que nous vivons au quotidien, sans nous en rendre compte, et pourtant, il y a "Mille petits riens", tous ces propos tenus, toutes ces petites phrases, tous ces actes qui paraissent futiles quand ils sont pris un à un (et encore !) mais deviennent insupportables quand ils sont multipliés.
Avec le parcours de cette femme, depuis son plus jeune âge jusqu'aux faits que je vous ai à peine effleurés, vous allez vivre au rythme de ses émotions, ses joies, ses chagrins, ses élans, son désespoir, vous allez l'admirer, elle va vous mettre aussi en colère. Dans tous les cas, je fais le pari que vous ne resterez pas insensible(s). L'auteure nous prend à témoin, nous interpelle, nous questionne. A partir d'un fait, elle croise les regards, une révélation ! Chacun, dans ce roman, a des circonstances atténuantes. Parce que la vie n'est pas binaire, il n'y a pas à coups sûrs les bons d'un côté et les mauvais de l'autre. L'être humain est complexe. La posture aujourd'hui et le combat mené par Türk s'expliquent. Son histoire, à lui aussi, mérite d'être dévoilée.
Ce roman dresse le portrait d'une Amérique rongée par le racisme, les déterminismes, sociaux, urbains... les discriminations qu'elle ne veut pas voir, pas nommer, pas explorer, instrumentalisant de fait la justice alors qu'elle est censée jouer le rôle de régulatrice d'une société. Est-ce ainsi que les hommes jugent ? C'est le titre du dernier livre de Mathieu MENEGAUX, c'est aussi la question que l'on se pose en refermant le roman de Jodi PICOULT.
Avec ce roman, Jodi PICOULT nous livre un formidable plaidoyer en faveur de l'interculturalité, de la reconnaissance de l'Autre dans toutes ses dimensions, ses richesses, ses failles, sa sensibilité... Elle focalise sur notre perception, à nous, de l'individu :
Tous les bébés naissent beaux, voilà la morale de cette histoire. C’est ce qu’on projette sur eux qui les rend laids. P. 22
J'ai beaucoup aimé les passages sur la maternité, le fait de devenir mère, et la différence qui peut se glisser entre les deux parents à la naissance d'un enfant :
Une mère dispose de neuf mois pour s’habituer à partager l’espace qui abrite son cœur. Pour un père, en revanche, ça vient d’un coup, comme un ouragan modifiant à jamais le paysage. P. 62
Et puis, il y a ce zoom réalisé sur l'amitié, une relation qui, lorsqu'elle est sincère, unit les êtres à la vie à la mort. Peu importe la condition, le statut social, la couleur de peau, elle est indéfectible, encore faut-il soi-même la mesurer !
Enfin, je voudrais terminer avec cette phrase :
[...] nous sommes tous un chantier en cours. P. 581
Jodi PICOULT nous montre à tel point rien n'est jamais définitif, tout est tellement fragile, instable et périssable. L'auteure nous invite à une profonde humilité, soyons modeste(s), la vie fera le reste.
Ce pavé, parce que ce roman est un pavé, est un pur bijou. Pas une minute vous allez vous ennuyer mais chaque minute où vous en serez séparé(e) va vous paraître une éternité !
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