Tout d'abord, un très grand merci à Joëlle de m'avoir mise sur la voie, je serai certainement passée à côté d'une pépite de la littérature.
Je vous dis quelques mots de l'histoire :
David revient pour la deuxième fois dans un petit village, il cherche une trace, une empreinte, le nom d'un homme. L'atmosphère est étouffante, il fait chaud mais ce n'est pas qu'une affaire de climat. David est obsédé par le sujet, il voudrait pouvoir s'en libérer. Et puis, il y a Benjamin, le narrateur. Sylvie l'a quitté après une dizaine d'années de mariage pour partir vivre le grand amour avec son patron à lui. Il vit à Lyon dans un deux pièces. Son fils, Pierrick, devrait passer une semaine sur deux chez son père mais la relation est difficile et très vite, il décide de ne plus venir du tout. David n'est autre que son meilleur ami, tous les deux , ils forment un binôme d'ambulanciers. David soutient Benjamin, il est de toutes les attentions, le motive, le pousse à tenir debout même si les choses sont particulièrement difficiles en ce moment. Les crises d'épilepsie de son enfance ont repris dès l'annonce de la nouvelle de la séparation et ne cessent de s'accroître. Il faut dire que depuis cette date, Benjamin a perdu pied et trouvé refuge dans l'alcool. Un matin, David trouve son ami le visage tuméfié, il est tombé dans la nuit. Il va être de plus en plus difficile de cacher les vices de Benjamin d'autant qu'il semble, ces derniers temps, que Benjamin soit en prise à des hallucinations. Il est projeté dans une autre vie que la sienne, à moins que ça ne soit sa vie antérieure.
Ce roman, autant vous le dire tout de suite, est d'une densité incroyable. Catherine ROLLAND dont je ne connaissais pas encore l'écriture, réalise ici une véritable prouesse.
Tout d'abord, elle immerge le lecteur dans un univers tout-à-fait audacieux. Nous commençons à voir de plus en plus de romans où le rêve et l'imaginaire occupent une place prépondérante. Il y a ceux qui vont encore plus loin et qui relèvent du fantasque à l'image récemment de celui d'Odile d'OULTREMONT "Les déraisons" ou bien encore d'Olivier BOURDEAUT "En attendant Bojangles". Mais là, nous franchissons un nouveau cap avec celui des hallucinations. Catherine ROLLAND nous fait vivre les délires de Benjamin, ces périodes pendant lesquelles son cerveau semble prendre les rênes pour lui faire vivre une autre réalité. Les images sont tellement précises, tellement concrètes, tellement rationnelles, qu'elles donnent à croire qu'elles existent ou ont existé réellement. Elles plongent Benjamin dans le plus grand désarroi, c'est ce que nous allons vivre tout au long du roman.
Mais là n'est que l'environnement, ensuite il convient de trouver un sujet à explorer. Catherine ROLLAND a choisi d'étudier une question hautement philosophique : y a-t-il une autre vie après la mort ? Depuis l'Antiquité et de tous temps, l'homme s'est interrogé sur sa survivance après la mort. Les religions se sont emparées du sujet comme certains mouvements ésotériques et spirites, ils ont émis des hypothèses toutefois sans qu'aucune preuve n'ait pu jamais être fournie et qu'aucune valeur scientifique n'ait pu être donnée.
Le flou de la situation ouvre le champ des possibles, un joli terrain de jeux pour les écrivains, c'est là que Catherine ROLLAND décide de faire ses preuves.
Benjamin qui, dans la vie aujourd'hui, s'apparente à un loser, pourrait avoir participé, avec son frère Cyrille, prêtre, à la Résistance contre l'occupant pendant la seconde guerre mondiale. Il aurait contribué à l'attaque du convoi de Kaeser pour préserver les Glières dans le territoire français. Benjamin en fait lui-même un terrain de jeu et s'autorise à quitter sa propre réalité pour se ressourcer dans le passé :
L’immersion dans le passé, pour le moment, était ma seule façon de supporter assez mon présent pour m’empêcher d’ouvrir le gaz en plein avant de le coller la tête dans le four. P. 76
Avec l'évocation de cette période, l'auteure assure le devoir de mémoire de Tom Morel, de celles et ceux qui, à ses côtés, se sont battus pour que la Haute-Savoie, et notamment de petit village de Saint-Calixte, demeurent français. Le relief montagneux, le climat hostile, ont rendu les actions difficiles. Catherine ROLLAND contribue au devoir de mémoire de celles et ceux qui figurent aujourd'hui sur les monuments aux morts et leur rend un vibrant hommage. Passionnée par les romans historiques, j'avoue avoir été particulièrement sensible à la beauté de ces passages et à tous ce qu'ils nous révèlent et qui ne figuraient pas toujours dans nos manuels scolaires.
Catherine ROLLAND s'interroge également sur la maladie mentale. Benjamin souffirait-il de schizophrénie ? La neurologue qu'il rencontre régulièrement peine à trouver la cause de ses troubles, et donc des traitements susceptibles de le soulager. C'est alors qu'elle va lui proposer de tester une nouvelle thérapie, là il ne s'agit plus d'être patient mais de devenir volontaire de l'étude Tornade. Benjamin acceptera-t-il d'être un cobaye du monde médical. Aborder ce sujet est également particulièrement ardu dans un contexte où les choses sont pas ou peu encadrées. Catherine ROLLAND nous interpelle sur la contribution que pourrait apporter chacun pour faire évoluer la recherche médicale. Sommes-nous prêts à en payer le prix fort ? La maladie mentale peut recouvrir de nombreuses facettes et se graduer sur différentes échelles. L'écrivaine rend bien compte ici de la difficulté, tant pour le patient que pour son environnement, à l'appréhender. Là aussi, mon coeur a profondément vibré.
Enfin, en brossant le portrait de la société contemporaine, Catherine ROLLAND aborde les différentes dimensions de la famille d'aujourd'hui, celles séparées et recomposées, celle de deux hommes qui offrent à un enfant une situation équilibrée portée par l'amour. Le modèle d'antan a littéralement explosé laissant place à de nouvelles formes, gardons-nous bien de porter de quelconques critiques sur celles explorées maintenant et qui feront les adultes de demain. Les relations humaines et la sociabilité ne se décrètent pas, elles se vivent. L'auteure parle d'amour, de la solitude, elle évoque aussi les sentiments avec beaucoup de force, à l'image de ce qu'elle écrit sur le deuil :
Un an, et il ne s’en était toujours pas remis. Il ne pensait pas réellement qu’il pourrait, ni accepter, ni surmonter le manque qui le foudroyait chaque matin, quand après une nuit passée à rêver de lui il ouvrait les yeux et se rappelait. P. 343
La plume de Catherine ROLLAND, je ne la connaissais pas, c'est une formidable surprise me concernant. Non seulement l'écrivaine aborde des sujets difficiles, mais en plus elle le fait avec brio. Elle ne porte pas de jugement mais donne à voir des situations qui interpellent le lecteur et le font avancer. Avec une écriture fluide, elle nous offre un roman de 346 pages trépidant, mouvementé, troublant à l'envi.
Je l'ai beaucoup aimé, pas une seconde vous ne vous ennuierez !
La cerise sur le gâteau, la couverture. Je ne sais pas encore qui en a eu l'idée et qui l'a réalisée mais elle est juste sublime et illustre à merveille ce très beau roman.
Ce roman concourt au Challenge de la Rentrée Littéraire organisé par le blog "Aux bouquins garnis" :

comme :
- Les guerres de mon père de Colombe SCHNECK
- Une vie minuscule de Philippe KRHAJAC
- Une longue impatience de Gaëlle JOSSE Coup de coeur
- Tristan de Clarence BOULAY
- Un funambule d'Alexandre SEURAT
- Juste une orangeade de Caroline PASCAL
- Les déraisons d'Odile d'OULTREMONT
- Pays provisoire de Fanny TONNELIER
- Une verrière sous le ciel de Lenka HORNAKOVA CIVADE
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