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2018-02-28T07:00:00+01:00

La meilleure façon de marcher est celle du flamant rose de Diane DUCRET

Publié par Tlivres
La meilleure façon de marcher est celle du flamant rose de Diane DUCRET

Editions Flammarion
 


Il y a un an, je lisais « Les indésirables », le roman historique de Diane DUCRET dans lequel elle évoque la mémoire du Camp de Gurs dans les Pyréenées. C’était avec les Lecteurs.com, un véritable coup de coeur.

Aujourd’hui sort son tout novueau roman que j'ai eu l’immense plaisir de lire en avant-première, un grand merci à l'auteure et sa maison d'édition.

Là, le sujet est contemporain et la plume acérée. Je vous explique :

Enaid est dans un taxi, nous sommes au mois de mai, en Pologne, à Gdansk. Elle se rend à une conférence dédiée aux droits des femmes. Elle reçoit un appel téléphonique de son compagnon. Depuis 3 mois, ils coulent le parfait amour, enfin presque, il lui annonce qu’il la quitte. Le choc à peine encaissé, elle reçoit un nouvel appel sur son mobile. Cette fois, il s’agit de sa mère biologique qui lui annonce qu’elle souffre d’un cancer généralisé et qu’elle souhaite la voir. Enaid a 33 ans, elle ne l’a pas vue depuis une trentaine d’années. Sa vie est en train de basculer !

Ma première impression avec ce roman de Diane DUCRET, c'est une invitation au voyage. Tout commence avec Gdansk, les chapitres se suivent et ne se ressemblent pas. Chacun porte le nom d'une ville (ou presque, L'Amérique étant l'exception !) : Paris, San Sebastian, San Diego, et bien d'autres encore. Ces villes sont autant d'étapes du parcours initiatique d'Enaid mais plus qu'une excursion à travers les continents, c'est un voyage intérieur que nous propose l'écrivaine.

Dès les premières lignes, j’ai été happée par le destin de cette jeune femme. Diane DUCRET n’y va pas par quatre chemins. D’emblée, elle annonce les événements et puis ensuite, s’attache, tout au long du roman, à dérouler le fil de la vie d’Enaid. Si pour certains, c’est un long fleuve tranquille, pour Enaid, nous sommes plutôt en eau vive, sa navigation est plus qu’instable et devant elle se multiplient les rapides et autres précipices.

D’abord, il y a cette rupture amoureuse. Diane DUCRET dresse un portrait satirique des relations humaines du XXIème siècle, totalement dénuées de bienveillance et délicatesse.


[...] le mot « aimer » est utilisé pour tout et n’importe quoi, les grands sentiments s’expriment dans de petites émoticônes, le sexe est devenu facile, les insécurités de tous ont pris le dessus, cela n’est plus si grave de décevoir quelqu’un, cesser de répondre ou disparaître est aujourd’hui une option qui n’est plus honteuse. P.15

Les relations humaines commencent à bien mal porter leur nom. Elles m'indignent, m'exaspèrent, me révoltent. Nous vivons dans un environnement en mutation. Il perd ses repères. Pas même un brin de dignité ne résiste. 

Cette séparation focalise aussi sur le statut des femmes, celles-là mêmes pour lesquelles elle était venue. Alors que l'interview dans un studio de radio polonais pouvait prendre une tournure d'intérêt général, Enaid se retrouve cruellement confrontée à sa propre réalité, intime, personnelle, singulière. Elle perd pied.


Quelque part entre le féminisme et l’horloge biologique, j’ai perdu le nord. P. 24

J'avoue avoir ressenti alors une profonde émotion. Et même si Diane DUCRET essaie de donner un peu de légèreté, les mots sont justes et résonnent à plein régime.

Et puis, il y a cette affaire familiale, un abandon quand elle n’avait que 3 ans, l’accueil dans une famille d’adoption et puis une escapade volée. J’ai été frappée par la fulgurance des événements. Les descriptions sont telles que vous imaginez tout à fait être vous-même à bord de cette voiture qui roule à vitesse folle, les cheveux au vent, dévorant avec gourmandise et frénésie les instants de liberté dont chacun sait qu’ils sont comptés.

Il y a comme un emballement du rythme de la vie d'Enaid, une énorme bouffée d'air mais à quel prix ? Sa mère sera rattrapée par la police et sera condamnée. Elle sera déchue de ses droits parentaux.

Le retour à la maison est d'autant plus douloureux. Alors, la famille part à la recherche d'une activité qui permette à Enaid de se libérer du poids qui pèse sur elle. Elle découvre l’équitation et là, c’est une véritable cure de jouvence. La jeune fille est accueillie à la semaine dans un milieu homosexuel. Elle fait l'objet de délicates attentions qui mettent un peu de baume sur son coeur. Elle est en confiance, jusqu’à la chute, une terrible chute qui ruinera à jamais ses espoirs dans le domaine. C'est à ce moment-là qu'elle commence à marcher comme un flamand rose, nous y voilà ! En réalité, elle s'appuie sur la jambe qui veut bien encore la porter. 

Alors commence une période d’adolescence chahutée avec les pires aventures. Elle met en danger sa vie, son corps. Tout meurtri qu'il est, elle va l'agresser encore et encore. Elle boit, elle consomme des stupéfiants, des mélanges de cachets distribués à la volée. Elle entretient un jeu farouche avec ce qui lui reste. 

Il faut dire que la blessure d’Enaid est profonde et ce ne sont pas les images qu’elle se fera tatouer sur le corps qui l’effaceront. Enaid est dévorée par le manque. Elle est en quête d'une mère, d'un père. Toute sa vie, elle a vécu avec des fantômes de parents dont elle ne savait presque rien. Elle leur en veut terriblement.


Les bêtises d’adultes, ça change la vie des enfants. P. 269

A cela s'ajoute un secret de famille, lourd, très lourd. Il pèse sur ses frêles épaules. Elle ne le découvrira que tardivement, comme vous. Impossible bien sûr de vous en dévoiler de quelconques détails.

J’ai personnellement été profondément touchée par le mal-être de cette jeune femme et sa difficulté à se construire alors que les fondations elles-mêmes sont inachevées :


Lorsque l’on est seul sur la chaîne de l’hérédité, perdu entre deux générations qui ne veulent pas être, on ne se sent pas véritablement exister, comme si aucune place ne nous avait été destinée et qu’il fallait la faire tout seul, à la force des bras, des mains, des dents. P. 259

Le sort d'Enaid est cruel et la plume de Diane DUCRET est sans concession. Elle est sarcastique, décapante, et quand pointe l'humour, il est noir. La jeune femme est désabusée et pourtant, il y a de l’espoir. Elle est comme ce flamand rose de l'histoire contée par sa maman :


Il n'y volait pas vite peut-être, mais libre. P. 264

Si je ne devais retenir qu'une image de ce roman contemporain, ça serait celle-ci. Celle d'une femme que rien n'a épargnée, celle  d'une femme meurtrie, mais celle aussi et surtout d'une femme qui assume sa LIBERTE.


Cette lecture me laisse chaos, c'est un véritable uppercut, de ceux qui vous marquent pour très longtemps. 


Quelques allusions laissent à penser qu'Enaid pourrait être le reflet du miroir de Diane. Si le roman est autobiographique, alors, Madame DUCRET, je vous dis "Chapeau" ! Et si vous pensez que "La meilleure façon de marcher est celle du flamant rose", je veux bien vous croire, sur parole. 

Ce roman concourt au Challenge de la Rentrée Littéraire organisé par le blog "Aux bouquins garnis" :

comme :

- Les guerres de mon père de Colombe SCHNECK

- Une vie minuscule de Philippe KRHAJAC

- Une longue impatience de Gaëlle JOSSE Coup de coeur

- Tristan de Clarence BOULAY

- Un funambule d'Alexandre SEURAT

- Juste une orangeade de Caroline PASCAL

- Les déraisons d'Odile d'OULTREMONT

- Pays provisoire de Fanny TONNELIER

- Une verrière sous le ciel de Lenka HORNAKOVA CIVADE

- Le cas singulier de Benjamin T. de Catherine ROLLAND

- L'Attrape-souci. de Catherine FAYE

- Bénédict.de Cécile LADJALI

- L'atelier des souvenirs.d'Anne IDOUX-THIVET

- La nuit je vole de Michèle ASTRUD

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commentaires

U
Cette Diane Ducret est un sacré personnage ! J'ai lu un portrait d'elle dans Libé la semaine dernière. Elle est incroyable. Merci pour ta participation !
Répondre
T
C'est exactement ce que je crois et elle a une plume reconnaissable entre toutes !
K
Mais on a l'impression que tu ne lis que des livres marquants !
Répondre
T
C'est vrai que ces derniers temps je vibre particulièrement !!!

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