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2018-02-23T18:03:00+01:00

Illettré de Cécile LADJALI

Publié par Tlivres
Illettré de Cécile LADJALI

Actes sud
 


Et de 2 ! 2 quoi ? 2 romans de Cécile LADJALI lus en une semaine.


Bien sûr, il y a la perspective de la rencontre dédicace du samedi 24 février à la Librairie Richer sur Angers mais pas que. En réalité, je suis tombée sous le charme de l'immense talent de Cécile LADJALI, une plume subtile, érudite, juste, qui résonne profondément en moi. Je ne peux que regretter de ne pas l'avoir découverte plus tôt, mais, bref, la vie est ainsi.


Il y a donc eu "Bénédict", publié très récemment, et je vous présente aujourd'hui "Illettré", un roman très émouvant, un brin militant. Je vous explique.


Enfant, Léo a vécu dans une caravane avec ses parents. Commerçants non sédentaires, ils vendaient des articles militaires. Quand il n'avait alors que six ans, ils ont tout simplement disparu. Il se sont volatilisés sans laisser d'adresse, pas même un baiser d'au revoir. C'est sa grand-mère Adélaïde qui a pris le relais et l'a élevé. Attentionnée, elle lui a offert tout son amour. Malheureusement, ça ne sera pas suffisant pour permettre à Léo de réussir à l'école. A l'adolescence, le peu appris s'est envolé. Exempté du service militaire notamment à cause de son analphabétisme, Léo a dû chercher sa voie. C'est ainsi qu'il est entré à l'usine, dans une imprimerie où il travaille sur des machines. L'une d'elles lui a sectionné deux doigts. Léo n'avait pas anticiper le danger, impossible pour lui de lire les consignes de sécurité. Mais Léo mesure bien la responsabilité qui pèse sur ses épaules. Sa grand-mère Adélaïde, une vieille dame, se repose désormais sur lui. Ses fragilités à elles, de santé, exigent des soins. Elle est hospitalisée mais ça ne l'empêche pas d'être heureuse. Elle reçoit la visite de son petit-fils régulièrement avec des fleurs et une jolie carte postale pour la faire rêver, sa grand-mère. Léo mène sa vie d'adulte, il a un appartement. Mais il se rend compte tous les jours de son handicap. Alors, il se prend lui aussi... à rêver !


Ce roman est d'une immense beauté.


Tout d'abord, il y a des relations humaines exceptionnelles, pleines de tendresse et d'émotion. Même si le chemin de Léo est semé d'embûches, le petit-fils a réussi à préserver avec sa grand-mère la candeur des premiers instants. Entre ces deux naufragés de la vie règne une formidable complicité, un lien indéfectible dans la grand-parentalité. J'ai été bouleversée par cette escapade à la mer. La découverte par Adelaïde de l'océan, sa main passée dans l'écume des vagues, ses pieds délicats et fragiles trempés dans l'eau fraîche de Querqueville, un moment de grâce et tous les sens en moi, une aventure comme on voudrait tous en vivre.


Il y a ces très beaux souvenirs de petits-déjeuners, tendres et pleins de gourmandise.


Rousse et onctueuse, la dentelle de froment le reconduit aux années de l'enfance, aux petits matins dans l'appartement qui embaumait le café, à la cuisine pleine de l'odeur du petit-déjeuner qu'Adélaïde avait préparé pour lui. Le sucre mélangé au beurre fondu produisait dans la bouche un crissement suave qui resta longtemps associé à ces heures sans école (car la recette requérait un temps pour la préparation et la dégustation qui s'ensuivait, aussi ne pouvait-on s'atteler à une tâche aussi impérieuse que le mercredi ou le week-end). P. 108

Malheureusement, la vie quotidienne de Léo est aussi marquée par un terrible fardeau. Le poids de la honte l'empêche de marcher tête haute et de gonfler le buste. Le jeune garçon se rend compte, tous les jours, du handicap de son illettrisme. Il le rend responsable de son salaire insignifiant et des conditions de vie de sa grand-mère accueillie à l'hôpital plutôt qu'en maison de retraite. Il est dépendant, aussi, des autres. Impossible pour lui de déchiffrer le moindre courrier. Alors, il demande à la Madame Ancelme, la concierge, de bien vouloir lui en faire la lecture. Cette situation est terriblement dégradante, il en souffre jusque dans les pores de sa peau.


Bebel et Léo ont en commun la honte. Elle est tenace, constante. Elle a modifié leur corps : démarche hésitante, épaules en creux, yeux baissés, hoquet des syllabes, le pied qui râpe et n’ose franchir une ligne imaginaire qui terrifie. P. 86

Pour pallier cette carence, Léo a développé son sens de l'observation. Il porte sur les gens un regard pénétrant, de celui qui permet de les apprécier, de mesurer leur bienveillance et de juger de leur confiance. 
 


Il décèle la beauté là où les hommes ordinaires ne la remarquent jamais. P. 87

C'est donc assez naturellement qu'il sera attiré par son voisin, cinéaste, un homme de la nuit, comme lui. Mais Léo, lui, rêve de culture, il voudrait pouvoir jouer des mots, les adopter...
 


Savoir mettre les mots au monde lui aussi. Enfanter le langage, inventer des combinaisons de lettres, et traverser les scories écrites sans trébucher dans la forêt des signes. P, 148

Et des mots, il y en a plein les livres. Léo a conscience, chaque jour, de son pouvoir limité, y compris sur sa propre vie. Léo voudrait pouvoir choisir, il aimerait être libre et aller encore plus loin dans son approche de l'humain.


Avec les mots, il serait le maître de son destin, il pourrait aimer. Les livres sont l’examen de la vie. Un miroir où l’on se voit, par lequel on se connaît, où l’on apprend à nommer et à cesser de subir. P. 128

Tout son être porte les stigmates de cette différence invisible. Alors, entre la vie et la mort, il entretient un subtil équilibre. Le roman est ponctué de visites au cimetière de Saint-Ouen. Là-bas, il tient une conversation imaginaire et, au fil d'un dialogue, nous dévoile un peu plus de sa personnalité. Cécile LADJALI opte ici pour une narration à la première personne du singulier, un exercice littéraire audacieux, parfaitement maîtrisé, dans un roman narré comme un tableau pourrait être brossé.


Avec ce livre, "Illettré", l'écrivaine dévoile la misère dans laquelle sombre Léo et porte, plus généralement, un regard critique sur ce qui ressemble à des quartiers populaires. L'urbanisme du logement social y a négligé jusqu'à l'intimité de ceux qui y habitent, rendant impossible une vie préservée des regards mal attentionnés et des oreilles indiscrètes. Des structures développent des actions en faveur des publics fragiles mais leur jettent à la figure toute leur précarité, à l'image de ce centre d'insertion médico-social qui accueille Léo pour des cours de français à l'étage des "Troubles du langage". Cécile LADJALI frappe plus fort encore avec le personnage de Susan Mars, une intervenante aux pratiques infantilisantes.
 


Atterré, il observe ses compagnons d’infortune dans la classe transformée en zoo :
A comme âne,
B comme baleine,
C comme canard. P. 145

Alors, on pourrait hâtivement faire le procès à Cécile LADJALI de dresser un portrait imaginé d'une société marginalisée. Mais ça serait sans compter sur son expérience de tous les jours auprès d'élèves notamment de quartiers défavorisés. Elle fut d'ailleurs récemment interviewée par Léa SALAME sur France Inter dans le 7/9 de Nicolas DEMORAND sur la réforme du baccalauréat. Son propos est engagé, sa lutte contre l'illettrisme est son combat de tous les jours. Je vous laisse l'écouter.


Mais si vous préférez que nous nous quittions en musique, je vous propose "Human Fly" de The Cramps. Si vous ne savez pas encore pourquoi, je vous invite tout simplement à lire "Illettré" !

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commentaires

M
J'avais adoré, il y a quelques années, "Louis et la jeune fille", de Cécile Ladjali. Je viens d'acheter "Bénédict" en prévision d'un voyage en Iran en avril. J'ai hâte de le commencer! (Je lis en ce moment "Le voile de Téhéran" de Parinoush Saniee)
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T
Oh merci Magda pour cette empreinte laissée sur le blog. Je note dès maintenant la référence « Louis et la jeune fille ». Très belle lecture de Bénédict et beau voyage. On en reparle

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