Ce livre, je l'attendais depuis longtemps, longtemps, longtemps... en fait, un peu plus d'un an, depuis que j'ai refermé le 1er roman de Lenka HORNAKOVA-CIVADE "Giboulées de soleil" découvert avec les 68 Premières fois et qui fut une révélation, un coup de coeur.
Parfois, lorsqu'un 2ème roman sort, on appréhende un peu. Sera-t-il aussi puissant, aussi fort, aussi bon, que le précédent ? Mais avec cette écrivaine, aucun doute. Il suffit de l'écouter parler pour se rendre compte que chaque mot est juste, qu'il véhicule une pointe d'humour avec une réelle profondeur, qu'il est poétique, romantique, qu'il est le reflet d'un exil, d'intenses émotions... J'ai eu la chance de rencontrer Lenka HORNACOVA-CIVADE a plusieurs reprises, la dernière fois, c'était à Angers en avril, retour en images !
Et qu'il fut bon de se bloquer un samedi après midi pour le lire d'une traite, "Une verrière sous le ciel" est un nouveau coup de coeur, un bijou de la littérature. Je savais que je ne pourrais pas vous le cacher très longtemps !
Je vous explique :
Ana est une jeune fille. Elle a 18 ans. Elle est en France. Elle est sur le quai de la gare après une semaine passée en colonie de vacances auprès des jeunesses communistes. Elle doit prendre le train qui la remmènera à Prague, là où elle habite. Mais elle ne montera jamais dans le train. Nous sommes le 21 août 1988. Ana va déambuler dans les rues de Paris, visiter le cimetière du Père Lachaise, s'y attarder. C'est là qu'elle va rencontrer Grofka qui va l'accompagner jusqu'au café "La joie du peuple" tenu par Bernard. Il y a quinze ans, Grofka était à la place d'Ana, c'est lui qui l'a hébergée. Il va le faire aussi avec elle. Ana va passer sa première nuit dans le débarras du café, puis, d'autres. Elle va lentement trouver ses repères dans ce huit clôs au gré du passage des clients, les habitués, ceux qui ne manqueraient pour rien au monde le petit café noir du matin. Elle va nouer des relations et un jour, s'autoriser à sortir du bar. De nouvelles aventures s'offrent à Ana, là commence une autre histoire !
Ce roman, vous l'aurez compris, instille le suspens dès les premières pages. Que va devenir cette jeune fille, seule à Paris ? Et bien, Lenka HORNAKOVA-CIVADE va lui imaginer un itinéraire tout a fait singulier. Ana va faire connaissance avec de nouvelles personnes, françaises, elle va lentement apprivoiser leur langue, s'approprier leur mode de vie, découvrir leurs histoires. Chacun occupe une très belle place dans ce magnifique roman. Bien sûr, tout tourne autour d'Ana mais l'écrivaine déroule avec minutie le fil de la vie de chacun, c'est de la pure broderie, tout en finesse, sans jamais laisser de côté la réalité, qui elle, peut se révéler dure et dramatique.
J'ai adoré le tableau brossé de Jacob et Yacob, deux "petits vieux" :
Si chaque journée au bistro est un opéra, une pièce unique, chantée, jouée, vécue par tous les clients, ces deux-là, en font l'ouverture. Ils connaissent leur rôle, leur partition - être les premiers de la ribambelle des fidèles, ponctuée de visites, irrégulières ou impromptues, de visiteurs qui ne reviendront jamais, d'égarés dans le quartier et de passants du hasard de la vie. P. 42
Le bistro, souvent regardé de loin par celles et ceux qui ne les fréquentent pas, se révèlent de véritables lieux d'interculturalité. Celui de Bernard tout particulièrement :
Veinard de Bernard communiste, tu as ton Arabe, tu as ton Juif, Le Russe, une muette, une pute mystérieuse qui ne couche avec personne à ce qu'elle prétend, un artiste de renom et maintenant même une madone portugaise qui se prend pour une bourgeoise... P. 177
mais il n'est peut-être pas unique, j'aime à le penser !
Bien sûr, le parcours d'Ana va être semé d'embûches, ses parents lui manquent, elle est seule dans un nouveau pays. J'ai été très sensible à la dimension de la langue et de ses impacts dans les émotions de ceux qui vivent un exil.
Une autre langue m'aide à tenir les larmes à distance, loin, dans le flou. P. 91
C'est un sujet cher à l'auteure qui l'évoque régulièrement. Elle-même a quitté son pays pour adopter la France. C'est en français qu'elle a écrit son 1er roman, un texte qu'elle disait ne pas avoir imaginé d'écrire dans sa langue maternelle qui aurait suscité trop de sensibilité. La représentation des mots est unique, elle est attaché aux territoires, aux hommes et aux femmes, à leurs histoires. L'empathie, la compassion, ne sauraient balayer le poids des mots pour celle ou celui qui a une double culture. Maryam MADJIDI l'évoque aussi avec beaucoup de force dans "Marx et la poupée".
Cet état de fait interpelle quant à l'accueil des migrants aujourd'hui, réel sujet de société. Quelle place donner à la langue d'adoption ? Comment l'enseigner ? Comment faire en sorte de respecter les racines et celles et ceux qui ont quitté leur pays ? Autant de questions auxquelles il est difficile de répondre, Lenka HORNAKOVA-CIVADE nous livre ici un éclairage.
Et puis, Ana va se voir ouvrir les voies de l'art. Elle va poser pour un peintre et sculpteur, Albert, un habitué du café de Bernard, et là, c'est un tout nouvel univers qui va être exploré par Lenka HORNAKOVA-CIVADE. Là aussi, elle est en terrain conquis. L'écrivaine est également peintre et va nous dresser un formidable portrait des relations de l'artiste avec son modèle.
Le peintre ne s'intéresse pas à son modèle. Il lui est indifférent, il ne s'y attache pas. En ne le considérant qu'à travers son oeuvre, le peintre prend ce que son modèle lui offre, c'est-à-dire tout parfois. P. 120
Ana va incarner ce rôle avec plénitude dans un atelier dont le toit est une verrière, laissant ainsi la place à la lumière, projetant des zones d'ombre sur le corps, une très belle invitation à la création artistique.
L'inspiration, l'aspiration, les grands gestes, larges, ronds, la ponctuation, les silences, les reprises, le crissement du fusain sur le papier. Symphonie en noir de tilleul. Lui, le chef d'orchestre, moi son instrument et son public. P. 109
Impossible de vous quitter sans la référence aux livres. L'auteure nous dévoile un secret très bien gardé, que je ne saurais déflorer bien sûr, qui est d'une profondeur incroyable. Il a le goût d'un acte militant, d'une forme de rebélion contre le régime en place. Alors, quand une relation s'établit avec un certain Monsieur On, le chauffagiste de l'immeuble, je vous laisse imaginer ce qu'elle pourrait augurer.
La plume de Lenka HORNAKOVA-CIVADE est sublime, je crois que je vais en devenir une inconditionnelle. Il y a des écritures comme ça qui résonnent profondément en vous, celle-là me parle, m'émeut, m'enchante, me bouleverse... Le choix des mots est subtil, chaque phrase devient un brin de poésie, l'histoire prend un contour romanesque. Je ne vais pas vous en dire beaucoup plus sauf que je l'adore !
Ce roman est une perle, un bijou, un trésor.
Dans les toutes dernières pages, j'y ai vu un clin d'oeil fait aux 68 Premières fois :
Dans les contes de mon pays il y a souvent trois fées qui se penchent sur le berceau du bébé pour lui prédire son destin, lui prodiguent des talents, lui souhaitent une vie de telle ou telle couleur, sous de bons auspices ou au contraire pleine d'embûches. P. 98
Je crois bien que dans la vraie vie nos trois fées ont décelé dans la plume de Lenka HORNAKOVA-CIVADE un réel talent et qu'elles ont bien fait de le dorloter dans le berceau de l'édition 2016. C'est aujourd'hui un très beau bébé qui ne demande qu'à grandir. Il est assuré d'un très bel avenir.
Ce roman concourt au Challenge de la Rentrée Littéraire organisé par le blog "Aux bouquins garnis" :
comme :
- Les guerres de mon père de Colombe SCHNECK
- Une vie minuscule de Philippe KRHAJAC
- Une longue impatience de Gaëlle JOSSE Coup de coeur
- Tristan de Clarence BOULAY
- Un funambule d'Alexandre SEURAT
- Juste une orangeade de Caroline PASCAL
- Les déraisons d'Odile d'OULTREMONT
- Pays provisoire de Fanny TONNELIER
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