La #RL2018 est pleine de surprises. Coup de coeur pour le roman qui sort aujourd'hui en librairie, un petit bijou !
Roulement de tambours s'il vous plaît, c'est un événement ! Et en plus, il s'agit de ma 200ème chronique littéraire, ça se fête non ?
La 100ème était consacrée aux "Giboulées de soleil" de Lenka HORNAKOVA-CIVADE, un 1er roman, la 200ème est dédiée aussi à une femme, qui plus est, à une nouvelle plume. Tout autre registre mais quel talent !
"Les déraisons", c'est son titre. Mémorisez-le bien, vous allez entendre parler de lui, c'est certain !
Dès les 1ères pages, j'ai été happée, impossible de le lâcher. Je vous explique :
Adrien est au tribunal, il est accusé d'avoir perçu indûment son salaire pendant 12 mois. Il faut dire qu'il y a une vie en dehors du travail, lui, la voue au soutien de sa femme, Louise, qui lutte contre la maladie. A moins que ça ne soit elle qui lui consacre la sienne. Louise est artiste peintre. Un brin fantasque, elle est créative à l'envi. C'est une "ouvrière qualifiée de l'imaginaire", tout un programme que je ne saurais vous dévoiler tant il est riche, lumineux, bourré de fantaisie !
La situation est ubuesque. Le placard dans lequel l'entreprise AquaPlus a mis Adrien était tellement à l'abri des regards que personne ne s'est aperçu plus tôt qu'il n'occupait plus son bureau. L'écrivaine évoque le monde du travail aujourd'hui, les drames sociaux. Le sujet est grave, mais c'est sans compter sur le talent d'Odile d'OULTREMONT pour y mettre de la cocasserie. J'ai personnellement adoré le personnage d'Umma Benurin, cette employée des ressources humaines qui ira jusqu'au bout de ses convictions et assumera pleinement son choix. Un sacré portrait de femme !
En parlant de femme, je suis complètement tombée sous le charme du personnage de Louise. Malgré, ou à cause d'un passé douloureux, elle a adopté l'extravagance comme mode de vie, mode de pensée aussi, quitte à sombrer dans la pure folie. Alors même qu'elle sort de la pharmacie avec tous ces médicaments, elle décide de les personnaliser et d'en faire des comédiens, des cabotins qui feront de sa vie une pièce de théâtre. Mais comme elle est peintre, elle en fait une fresque, vous voyez ?
C'est pour Adrien que je les peins. Parfois, il ne comprend rien mais c'est normal, vous me direz, l'amour est la langue secrète d'une minuscule communauté où l'on réside seul la plupart du temps. P. 79
La maladie qui s'est invitée dans leur vie occupe une place importante mais là aussi, elle est abordée avec poésie, tendresse et sensibilité, à l'image de cette description du monde hospitalier :
Jusqu'ici Adrien pensait qu'en médecine on éprouvait, on calculait, on évaluait, on mesurait mais, depuis qu'il accompagnait Louise à ses séances de chimio, une fois par semaine, il découvrait qu'un hôpital tanguait autant qu'un voilier, il se sentait porté à bâbord ou à tribord selon les jours, les résultats, les humeurs du soignant, le trafic dans les couloirs, la nature des urgences, des paramètres beaucoup trop humains. P. 102
Et Adrien dans tout ça ? Et bien, c'est l'homme du roman, un anti-héros, de ceux qui se laissent porter au fil de l'eau. Avant de rencontrer Louise :
[...], Adrien ignorait l'étendue de la palette de couleurs et l'existence même de pinceaux variés pour lui donner vie. P. 21
Adrien était cet employé d'AquaPlus chargé d'aller informer les clients des perturbations sur le réseau d'eau potable en lien avec la programmation des travaux. Quand il a sonné à la porte de la maison de Louise, il ne savait pas encore qu'il serait entraîné dans un tourbillon de folie, qu'il vivrait des moments d'un amour intense et qu'il serait, lui aussi, contaminé par les délires de Louise.
Ce roman est un coup de coeur, j'ai beaucoup ri (en littérature, c'est suffisamment rare pour être signalé), pleuré aussi (pas de chagrin mais devant la beauté des sentiments), je me suis laissée porter par l'ascenseur émotionnel.
Odile d'OULTREMONT est une écrivaine d'un immense talent, je me suis laissée séduire par la qualité de sa plume, la langue est d'une beauté extraordinaire, ce roman est un poème de quelques 200 pages, de quoi vous offrir un pur moment de bonheur.
Le rythme est soutenu. L'alternance des chapitres consacrés pour les uns aux scènes du tribunal, pour les autres à la vie de Louise ou à celle d'Adrien, fait de ce roman un véritable page-turner.
La cerise sur le gâteau, c'est le vent de folie qui emporte Louise et les siens. Le loufoque est communicatif, il s'incruste dans les pores des deux personnages pour faire de ce roman une toile surréaliste, une oeuvre d'art.
C'est un roman profondément lumineux, d'une générosité immense.
A la lecture de ces quelques lignes :
La cacophonie l'apaisait : des paroles humaines sur le boulevard, des cris de pneus qui adhéraient au bitume, des portes claquées sur le chambranle, des ombres qui résonnaient, la présence de tous ces autres en mouvement, un concert vital comme une douce berceuse. P. 21
la mélodie de Brother Sparrow d'Agnès OBEL m'est subitement revenue en mémoire, je vous quitte donc en musique !
Ce roman concourt au Challenge de la Rentrée Littéraire organisé par le blog "Aux bouquins garnis" :
comme :
- Les guerres de mon père de Colombe SCHNECK
- Une vie minuscule de Philippe KRHAJAC
- Une longue impatience de Gaëlle JOSSE Coup de coeur
- Tristan de Clarence BOULAY
- Un funambule d'Alexandre SEURAT
- Juste une orangeade de Caroline PASCAL
Il fait désormais partie de la sélection des 68 Premières fois pour la rentrée littéraire janvier/février,
tout comme :
L'Attrape-souci de Catherine FAYE
Pays provisoire de Fanny TONNELIER
L'homme de Grand Soleil de Jacques GAUBIL
Les rêveurs d'Isabelle CARRE
Eparse de Lisa BALAVOINE
Si vous appréciez ce roman, vous aimerez aussi :
En attendant Bojangles d'Olivier BOURDEAUT
Un funambule sur le sable et Une bouche sans personne de Gilles MARCHAND
Journal d'un vampire en pyjama de Mathias MALZIEU
commentaires