Cette BD, ça faisait bien longtemps que je voulais vous la présenter et puis voilà... d'autres étaient passées devant ! A l'image de Marguerite, cette jeune femme de 27 ans, de celles qui se cacheraient dans un trou de souris si elles le pouvaient. Les sens de Marguerite sont sur développées, générant chez elle une hypersensibilité au bruit, aux odeurs, aux mouvements... Angoissée à l'extrême, Marguerite souffre très vite de la relation aux autres, qu'il s'agisse de l'environnement familial ou professionnel (imaginez un peu la souffrance de Marguerite dans un openspace, c'est pourtant ce qu'elle a à supporter chaque jour !). Pour manger, c'est aussi toute une histoire, Marguerite suit un régime alimentaire imposé par son corps. Tout est source d'exclusion. Son compagnon le lui reproche. Ses amies aussi. Alors quand un jour elle découvre que ses comportements pourraient être liés au syndrome d'Asperger, elle revit, elle retrouve le goût à la vie, elle fait le tri dans ses relations pour ne plus retenir que celles qui la comprennent, c'est une révélation !
Cette BD, c'est son titre qui m'a attirée. Le sujet de la différence m'a toujours interpellée, et je crois bien qu'il va encore grandissant avec l'âge, à moins que ça ne soit lié à notre société et à ce qu'elle me renvoie.
Alors même que chacun(e) est différent(e) des autres et qu'on est tous et toutes l'handicapé(e) d'un(e) autre, je comprends tout à fait le désarroi de Marguerite devant ce qui pourrait relever de la normalité.
Mademoiselle Caroline et Julie Dachez brossent un tableau satirique du monde professionnel, à commencer par la référence au dresscode, cette volonté grandissante de voir les salariés habillés tous de la même manière, soit par la voie d'un uniforme, soit par celle des accessoires clés. La BD interroge sur l'intrusion de cette nouvelle exigence. En quoi porter tel ou tel vêtement ou accessoire réduirait ou développerait les compétences au service de l'entreprise ? A moins que l'objectif ne soit autre et qu'il s'agisse finalement, par ce port-là, d'adhérer à l'image de la société et d'en devenir l'ambassadeur !
Julie Dachez aborde aussi le sujet récemment traité par Alain Kokor dans "Supplément d'âme", celui de la volonté et de la nécessité de chacun(e) de s'isoler pour se ressourcer
Dans "La différence invisible" comme dans "Supplément d'âme", le personnage principal choisit le moment du déjeuner pour s'offrir une pause loin des autres. Or, ce comportement est aujourd'hui suspect, voire punissable. Non seulement, vous devez être un(e) salarié(e) compétent(e), mais encore faut-il être intégré(e) socialement dans l'entreprise et le moment du déjeuner, qui incarne la convivialité par excellence, devient éminemment stratégique. Pour Marguerite, chaque midi devient une réel supplice.
Personnellement, j'ai été profondément touchée par la présence du rouge dans les premières pages de l'album, cette couleur qui évoque, pour moi, le sang, la douleur, la souffrance. Dans la circulation routière, c'est aussi la couleur des panneaux de signalisation pour informer les usagers d'un danger. C'est enfin la couleur qu'utilisaient nos enseignants pour corriger nos erreurs quand nous étions scolarisés. Pour peu que la note soit basse, l'annotation devenait une véritable agression. Cette couleur est ingénieusement choisie pour caractériser l'oppression que vit Marguerite au quotidien et j'y ai été singulièrement sensible.
J'ai beaucoup apprécié le graphisme de cette BD avec des contours noirs, très précis, sur du papier brillant, avec des nuances monochromes (noir, gris...) en début d'ouvrage et puis l'arrivée progressive de jolies couleurs (rose, vert...).
Ce roman graphique met en lumière la nécessité de pairs pour restaurer l'estime de soi, un climat de confiance. Il y a comme un vent d'allégresse qui souffle sur l'existence de Marguerite quand elle découvre qu'elle n'est pas seule à vivre cette situation. Un réseau d'échanges et de savoirs se met rapidement en place avec des bienfaits incontestables.
Cette BD est aussi un formidable outil pédagogique pour celles et ceux qui sont confronté(e)s de près ou de loin au syndrome d'Asperger reconnu aujourd'hui nationalement. La journée du 18 février lui est d'ailleurs dédié. Pouvoir mettre des mots sur des émotions est, à n'en pas douter, le premier pas vers l'acceptation de soi. C'est d'ailleurs ce que montre très bien le scénario de ce roman graphique qui, pour celles et ceux qui voudront aller encore plus loin, pourront terminer par un kézako sur le sujet.
Tout est conçu pour faciliter la compréhension, à l'image de ces ponctuations données par des phrases qui pourraient être prononcées par un observateur, un oeil extérieur, pour décrire ce que vit le personnage principal et replacer l'histoire dans son contexte.
En parcourant cette BD, je n'ai pas pu m'empêcher de penser au livre de Gilles Marchand "Un funambule sur le sable" et plus précisément à Stradi né avec un violon dans la tête. Bien sûr, dans ce roman, le personnage est créé de toute pièce par l'imagination de l'écrivain, mais il représente à la perfection cette différence intérieure que connaît Marguerite, une différence qui ne se repère pas au premier coup d'oeil, une différence qui peine à dire son nom mais qui pourtant conditionne la vie de celles et ceux qui en sont marqué(e)s.
C'est une BD très didactique que l'on devrait mettre dans toutes les mains. Je suis sûre que petits et grands auraient beaucoup à apprendre de l'itinéraire de Marguerite tant pour celles et ceux qui souffrent au quotidien d'une différence que pour celles et ceux qui regardent les autres comme s'ils étaient différents. Différents par rapport à quoi ? C'est peut‐être la question qu'il est urgent de se poser !
commentaires