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2017-11-12T11:26:19+01:00

Une chance folle de Anne GODARD

Publié par Tlivres

Editions de Minuit
 

C'est un roman de la rentrée littéraire de septembre dernier, ne passez pas à côté !


Je vous dis quelques mots de l'histoire.


Magda a 9 mois. Sa mère rend visite à Tante Charlotte. Il y a Marc aussi, son frère aîné, enfin, de peu. Il est né la même année, les deux enfants n'ont que 11 mois d'écart. Le père, fatigué, est resté à la maison pour faire une sieste. Marc s'amuse, il fait tomber de la table du salon une boîte du panier à couture de Tante Charlotte, les épingles se répandent sur le sol, la mère s'affaire à les ramasser avant que Marc ne se blesse. La petite Magda, elle, s'approche de la bouilloire qui, pour une raison indéterminée, va tomber du meuble où elle est posée, laissant l'eau bouillante se déverser sur le corps de la petite fille. De l'accident, Magda ne se souvient pas. Mais des conséquences, assurément ! 


Après "L'invention des corps" de Pierre DUCROZET, place à "Une chance folle" de Anne GODARD, un roman qui va lui aussi aborder le sujet du corps mais dans une toute autre dimension.

Ce roman, il résonne en moi comme un cri, un terrible cri que l'écriture permet de pousser et dont l'écho prend différentes dimensions.


Il y a ce corps meurtri bien sûr, les brûlures que vous imaginez. Anne GODARD les exprime avec beaucoup de délicatesse mais aussi gravité. Elle rivalise d'ingéniosité pour trouver les images qui nous feront partager, le temps d'un livre, les souffrances physiques endurées :


Peu à peu, ça s'éclaire, je sais où elle est, la douleur fulgurante au moment de bouger, un nerf coupé, sous la peau, qui grésille comme un fil électrique. je sens aussi les coups de becs d'oiseaux, là où la peau greffée s'éveille. Je reprends conscience complètement, c'est-à-dire que je commence à souffrir exactement, à chacun des points qui me recousent, à chaque mouvement qui les étire ou les comprime. P. 37

Mais ce roman, c'est avant tout un profond cri du coeur. En prêtant sa plume à Magda, Anne GODARD va donner de la voix à celles et ceux qui sont réduit(e)s au silence.  Magda l'a été, au sens propre, dans une maison dans laquelle même le cri du nourrisson s'est tu, l'écrivaine empreinte, elle, les chemins inexplorés du sens figuré. Avec une narration à la première personne du singulier, la force du propos est amplifiée :


J'ai mal au coeur, j'ai mal, c'est pareil, c'est le même roulis intérieur, la même nausée qui me ferme la gorge et m'empêche aussi bien d'avaler qu de parler. P. 37

L'auteure use du prétexte d'un accident domestique, l'occasion d'évoquer le fait que près de 200 000 enfants en meurent en France chaque année. Magda fait partie de ces enfants victimes d'un accident qui aurait pu être évité. Nous ne sommes pas loin du cri d'alerte aux parents, grands-parents, bref à tous ceux qui entourent les enfants dont ils doivent assurer la protection. 
Anne GODARD va creuser le sillon de cette obligation. La petite fille en veut terriblement à sa mère de ne pas s'être occupée d'elle à l'instant précis où l'accident aurait pu être évité mais à l'instant précis aussi, où sa vie a basculé. C'est un cri de reproche adressé à sa mère que formule Magda tout au long de ce livre, un cri qui met la mère devant ses responsabilités et la renvoie à sa culpabilité. De cet accident les relations mère/fille seront inéluctablement entachées.


Ce roman, c'est aussi un profond cri à l'injustice. Alors même que la petite Magda souffre, qu'elle est hospitalisée sur de longues durées, la famille, les amis, les autres en général s'apitoient sur le sort de la mère.  La narratrice éprouve un ressentiment incommensurable. Anne GODARD sème les premières graines d'une prise de conscience. Si le réflexe des adultes peut paraître assez naturel devant un enfant de 9 mois qui ne parle pas encore et ne peut mettre des mots sur ce qu'il ressent, il l'est beaucoup moins ensuite mais les habitudes sont prises. Magda crie haut et fort combien l'attention des autres a été dévoyée, la privant, elle, de ce qu'elle aurait pu lui apporter pour se construire. 


Anne GODARD aborde, en toile de fond, le sujet de la différence et plus précisément celui du regard des autres sur la différence. Gilles MARCHAND l'a fait de façon poétique et fantaisiste dans "Un funambule sur le sable" avec Stradi, un personnage qui est né avec un violon dans la tête, Anne GODARD l'approche, elle, en restant les deux pieds dans la réalité, mais les deux auteurs tentent de répondre à la même question : en quoi une différence détermine-t-elle l'identité d'un individu ?


Alors reprenait la danse, toujours la même, de l'une à l'autre de mes pensées, ne pas la cacher, ne pas la montrer, ne pas être réduite à elle, ne pas la nier, ne pas me définir par elle, ne pas me définir contre elle, ne pas prétendre qu'elle seule m'a déterminée. P. 7/8

Magda fait partie de ces enfants qui ont survécu à un accident mais qui en en porteront l'empreinte jusqu'à la fin de leurs jours. Il n'est pas écrit sur leur front que leur corps est meurtri et pourtant !


Et quoique je fasse, quoiqu'on me dise ou qu'on me taise, je la voyais dans mon reflet, dans le regard des autres, et sur toutes les photos. P. 48

A moi, maintenant, de lancer un cri, et ce sera celui de la victoire ! Je ne connaissais pas encore la plume de Anne GODARD dont "Une chance folle" est le 2ème roman, son premier "L'inconsolable" date de 2006. C'est une autre Anne qui m'a mise sur la voie lors de la présentation de la rentrée littéraire de septembre dernier à la Librairie Richer et elle a sacrément bien fait. 


A défaut, peut-être l'aurais-je repéré dans le catalogue des Editions de Minuit, souvenez-vous, elles ont publié "Article 353 du Code Pénal", le dernier roman de Tanguy VIEL lauréat du Grand Prix RTL Lire 2017.


Ou bien le titre m'aurait-il interpellée sur un présentoir, mais je n'en aurais pas mesuré l'ironie. A vous, je peux maintenant la dévoiler, une chance folle, c'est ce que dit la mère à sa fille, son visage a été épargné, elle a de la chance, non ? elle a une mère qui prend des jours de congés pour l'accompagner à l'hôpital, en cure, elle a de la chance, non ?


Alors, si vous étiez passé(e) à côté, dites-vous qu'il convient maintenant d'y remédier. La plume de Anne GODARD est singulière et remarquable, caustique à l'envi, elle nous livre un roman à découvrir absolument. L'histoire pourrait être plombante, elle en fait un véritable sujet de philosophie. 

Cette lecture s'inscrit dans le cadre du Challenge 1% Rentrée littéraire organisé par Délivrer des livres après :

Une chance folle de Anne GODARD *****

L'invention des corps de Pierre Ducrozet ***** 

Légende d'un dormeur éveillé de Gaëlle Nohant ***** Coup de coeur

Luwak de Pierre Derbré ***** Coup de coeur

Les Peaux rouges de Emmanuel BRAULT ****

Le grand amour de la pieuvre de Marie BERNE ***

Mina Loy, éperdument de Mathieu TERENCE ****

Minuit, Montmartre de Julien DELMAIRE *****

Le jour d'avant de Sorj CHALANDON *****

Un funambule sur le sable de Gilles MARCHAND ***** Coup de coeur

Un dimanche de révolution de Wendy GUERRA ****

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