Il y a des périodes comme ça où tous les livres me transportent, m'émeuvent, me bouleversent, m'ébranlent, me chavirent, me secouent, me touchent... je voudrais que ça ne s'arrête jamais. Je passe du coup de coeur au roman 5*, c'est un réel bonheur.
Si maintenant, je me refuse à lire la 4ème de couverture et préfère me laisser porter par un titre, le nom d'un(e) auteur(e), les avis d'ami(e)s, de libraires... là, je dois bien le dire, il m'aurait été difficile de passer à côté de tout ce qui a été dit ces derniers jours sur le roman lauréat du Prix Renaudot des Lycéens 2017. "Nos richesses" est partout dans les médias, Kaouther ADIMI aussi, elle vient de recevoir le Prix du Style 2017 (souvenez-vous l'année dernière c'était Négar DJAVADI pour "Désorientale" publié aux éditions Liana Levi !).
Je vous en dis quelques mots.
Nous sommes en 1936, en Algérie. Edmond Charlot a 21 ans. Il rentre tout juste de Paris où il a terminé ses études. Il réalise son rêve d'ouvrir une librairie de prêt, un peu à l'image de celle que tenait Adrienne Monnier dans la capitale. Elle s'appellera "Les Vraies Richesses, il empreinte à Jean Giono le titre de l'un de ses romans. Très vite, des intellectuels s'y retrouvent, y lisent, y écrivent. La Maison d'édition Charlot ne tarde pas à se lancer, elle publie les premiers écrits d'Albert Camus, "L'Envers et l'Endroit". D'autres écrivains seront portés par l'élan de la maison, Henri Boscot, Emmanuel Roblès, Jules Roy, et bien d'autres encore. Mais la guerre gronde, elle mobilise les hommes. Et puis, il y a cette page douloureuse aussi de l'Histoire de l'Algérie. Bientôt le papier vient à manquer et c'est tout l'équilibre financier de l'entreprise qui est compromis. Ryad a une vingtaine d'années, lui aussi, quand il pose le pied sur le sol d'Alger. Il est étudiant. Il arrive de Paris pour réaliser un stage. Il a pour mission de repeindre la librairie, les beignets succéderont bientôt aux livres. Il va lentement découvrir le passé de ce haut lieu de la littérature, et plus encore.
Ce roman est une pépite, un coup de coeur.
D'abord, ce roman, c'est un lieu, c'est une adresse : 2 rue Hamini, ex rue Charras. C'est là qu'ont ouvert le 3 novembre 1936 "Les Vraies Richesses", une librairie de prêt. Edmond Charlot avait une idée très précise de ce qu'il souhaitait :
C'est-à-dire une librairie qui vendrait du neuf et de l'ancien, ferait du prêt d'ouvrages et qui ne serait pas juste un commerce mais un lieu de rencontres et de lecture. Un lieu d'amitié en quelque sorte avec, en plus, une notion méditerranéenne : faire venir des écrivains et des lecteurs de tous les pays de la Méditerranée sans distinction de langue ou de religion, des gens d'ici, de cette terre, de cette mer, s'opposer surtout aux algérianistes. Aller au-delà ! P. 31
Edmond Charlot était un homme qui aimait la littérature, le monde des livres, de la création littéraire et artistique et ce, depuis sa plus tendre enfance. Il faut dire qu'il était à bonne école, son père était directeur d'un service chez Hachette. Ce roman, vous le comprendrez, c'est un petit jubilé de références. Si vous n'aviez plus rien à lire, je crois que vous allez pouvoir y glaner quelques conseils de lectures !
Ce roman, ce sont ensuite des hommes, de lettres en particulier. Edmond Charlot jouait à merveille ce rôle de passeur.
Moi, j'aime publier, collectionner, faire découvrir, créer du lien par les arts ! P. 102
Son antre accueillait des intellectuels, l'entreprise réunissait des passionnés. Edmond Charlot était profondément humaniste au sens propre du terme. A celles et ceux qui lui rapportaient des propos de détracteurs, il leur répondait :
Nous étions tous des amis et c'était cela, les éditions Charlot. P. 195
Malheureusement, les hommes ne sont pas tous altruistes comme Edmond Charlot, lui qui aimait à gommer toutes les différences et véhiculait avant l'heure des principes de laïcité. Il en fera lui-même les frais. Il sera mobilisé pendant la guerre, il connaîtra aussi les "événements" en Algérie. Ce roman prend une dimension historique et assure la mémoire de faits, sinon inconnus, régulièrement oubliés. Il donne un éclairage sur le massacre de Sétif en mai 1945, des milliers d'indigènes y trouveront la mort, et puis aussi sur tous ces Algériens qui, à Paris, seront torturés, tués, et jetés dans la Seine. Nous étions en 1961. Je voudrais saluer le travail réalisé par Kaouther ADIMI pour arriver à ce roman fouillé sur la grande Histoire de l'Algérie, de la France en quelque sorte. Nous parlons d'histoire, mais aussi de géographie en abordant la question des territoires et de leurs effets sur les hommes :
Abdallah pense qu'on n'habite pas vraiment les lieux, que ce sont eux que nous habitent. P. 208
Mais ce roman ne serait rien sans le talent de cette écrivaine qui va se prêter à un exercice d'écriture audacieux, entremêler l'histoire de deux hommes de deux périodes différentes en usant de deux styles littéraires. Il y a toute une partie du livre construite comme un roman et puis, il y a ces carnets de Edmond Charlot. A l'image d'un journal intime, il nous confie de quoi sont faites ses journées, ses doutes et ses convictions aussi. Le choix était courageux, le résultat réussi. Les lycéens ne s'y sont pas trompés ! J'ai été profondément touchée par la plume de Kaouther AMIDI, une révélation, un coup de coeur, quoi !
Cette lecture
Nos richesses de Kaouther Adimi ***** Coup de coeur
s'inscrit dans le cadre du Challenge 1% Rentrée littéraire organisé par Délivrer des livres après :
Et soudain, la liberté de Evelyne Pisier et Caroline Laurent *****
La petite danseuse de quatorze ans de Camille Laurens *****
L'invention des corps de Pierre Ducrozet *****
Légende d'un dormeur éveillé de Gaëlle Nohant ***** Coup de coeur
Luwak de Pierre Derbré ***** Coup de coeur
Les Peaux rouges de Emmanuel BRAULT ****
Le grand amour de la pieuvre de Marie BERNE ***
Mina Loy, éperdument de Mathieu TERENCE ****
Minuit, Montmartre de Julien DELMAIRE *****
Le jour d'avant de Sorj CHALANDON *****
Un funambule sur le sable de Gilles MARCHAND ***** Coup de coeur
Un dimanche de révolution de Wendy GUERRA ****
Enfin, un petit clin d'oeil à Anne de la Librairie Richer. Elle avait présenté ce roman lors de la soirée dédiée à la rentrée littéraire de septembre. Pour le moment, c'est un sans faute !
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