Comme vous le savez, j'ai laissé passer le train des 68 Premières fois pour la rentrée littéraire de septembre 2017 et voilà que je rechute pourtant avec un premier roman, à croire que j'y prends goût !
En fait, ce roman, c'est son titre qui m'a intriguée. Les Peaux rouges, ça m'a rappelé les westerns de mon enfance, ces Indiens qui se peignaient le visage et le corps et que les blancs avaient ainsi dénommés. J'ai eu envie de creuser un peu le sujet et j'ai bien fait.
Amédée Gourd est raciste, il ne s'en cache pas, lui. Je vous cite les premières lignes du roman pour vous en convaincre :
Les rouges. Tout un poème mais à l'envers. Je peux vous en parler, moi. Vous en faire un roman. Je sais pas d'où ils viennent. Leur dieu s'est tapé un délire en les peignant en rouge un soir de beuverie. Ou c'est leur Eve qui a mal tourné, elle a attrapé un truc louche et shplaf deux jumeaux rouges qu'elle a cachés dans la montagne. Et ils se sont reproduits, treize à la douzaine, vu que les mômes ça leur fait pas peur. Enfin, je sais pas trop, tout ce que je sais, c'est qu'ils sont nombreux dans les rues autour, partout, et qu'ils ont pas fini de nous faire chier. P. 9
Le ton est donné. Amédée travaille dans une usine, il est cariste chez Vinoveritas et travaille sur les quais de train de fret. Il vit avec sa grand-mère qui l'a élevé. Sa mère était alcoolique, elle a quitté le foyer quand il n'avait que 6 ans. Aujourd'hui, c'est lui qui s'occupe de sa Mémé, il fait les courses, prépare le repas et la couche le soir. Un matin, en allant au travail, il renverse une femme sur le trottoir, une Peau rouge avec ses enfants, elle hurle, il l'insulte au moment où une femme passe et voit la scène. A partir de ce jour-là, la vie d'Amédée va basculer.
Ce roman est une satire de notre société, de celle qui a mis les violences verbales et les actes à connotation racistes au sommet de la hiérarchie des délits. Alors qu'Amédée pensait que les choses allaient en rester là, il s'est très rapidement retrouvé, à son tour, stigmatisé par ses collègues. La nouvelle s'est rapidement répandue dans l'entreprise et Amédée est devenu persona non grata. Amédée a franchi la limite, ça ne se fait pas, il paiera pour son abus de faiblesse.
Ce qui m'a intéressé dans ce roman, ça a été de me mettre dans la peau (entendez par-là la tête) d'un homme raciste et de découvrir le pourquoi des choses.
Emmanuel BRAULT dresse le portrait d'une population baignée dans l'ignorance et la peur de l'autre. Les comportements répondent à des sursauts d'angoissés.
Nous sommes dans un milieu ouvrier, masculin, faiblement rémunéré, un brin caricatural je vous l'accorde. Mais le plus intéressant finalement c'est la narration à la première personne. Amédée porte un regard sur lui, il explique lui-même pourquoi il en est arrivé là.
J'ai toujours été un faible. P. 18
Amédée, enfant, a eu une vie de famille chahutée, cabossée pourrait-on dire pour rester dans le registre du roman. Il a été élevé par sa grand-mère. Elle lui a transmis ce qu'elle pouvait mais en matière de règles de vie, il faut bien dire qu'Amédée manque un peu de repères, alors c'est la société qui va lui donner.
Côté vocabulaire, là aussi, il y a quelques soucis. Amédée prend un mot pour un autre, résultats, de nombreuses expressions revues et corrigées qui prêtent à rire bien sûr.
[...] t'es bête qu'elle dit en riant avec son petit ficus qui lui fait des fossettes dans ses joues ridées comme du papier chiffonné. P. 21
On imagine assez bien un Amédée isolé quand il était petit garçon, du côté de ceux qui n'ont rien ou qui sont les boucs émissaires et comme l'humain a un besoin irréspressible de trouver plus faible que soi, et bien Amédée a trouvé !
Derrière ces parenthèses qui donnent un peu de légèreté à un propos grave (la situation des Peaux rouges, les Indiens cette fois, n'est toujours pas réglée, entre génocide et ethnocide, le coeur des anthropologues balance), il y a l'itinéraire d'un homme dont l'affaire va l'amener à côtoyer l'univers de la justice. Et là, c'est le choc des cultures, la lutte des classes éclabousse le visage d'Amédée. Lui se revoit petit garçon devant toutes les femmes qui vont croiser son chemin, elles, sont toutes des maîtresses d'école. Entre la juge qui va le responsabiliser pour ses faits et la psychologue qui va le contraindre à mettre des mots dessus, Amédée ne sait plus bien qui il est, il se sent étranger dans sa vie.
Je regarde les rues qui défilent comme un étranger. Ils sont dans leur vie tous ces gens et bientôt je serai de retour parmi eux, les blancs et les rouges, les gros et les maigres, les cons aussi. P. 121
La tendresse transmise par la grand-mère à son petit-fils n'y suffira pas, le fossé est trop grand pour être franchi par Amédée. Le regard porté sur notre société est noir. Mais c'est avec des romans comme ceux-là qu'il est possible d'avancer, encore faut-il être prêt à l'accepter ! Les éditions Grasset, que je remercie vivement pour cet envoi, en ont pris le pari, il est ambitieux mais mérite d'être relevé à l'heure où de nombreux migrants quittent leur pays d'origine pour un eldorado plus qu'incertain. Assurément, ce roman donne à réfléchir !
Cette lecture s'inscrit dans le cadre du Challenge 1% Rentrée littéraire organisé par Délivrer des livres après :
Les Peaux rouges de Emmanuel BRAULT ****
Le grand amour de la pieuvre de Marie BERNE ***
Mina Loy, éperdument de Mathieu TERENCE ****
Minuit, Montmartre de Julien DELMAIRE *****
Le jour d'avant de Sorj CHALANDON *****
Un funambule sur le sable de Gilles MARCHAND ***** Coup de coeur
Un dimanche de révolution de Wendy GUERRA ****
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