Aux Forges de Vulcain éditions
Quand on s'apprête à lire le 2ème roman d'un écrivain dont on a aimé la plume, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie... il y a toujours une petite appréhension. Est-ce que je vais retrouver la qualité de la prose, vivre des émotions fortes, bref, est-ce qu'il va me transporter ?
Et bien, maintenant que je viens de le refermer, je peux vous l'assurer. "Un funambule sur le sable" est à la hauteur du 1er roman de Gilles MARCHAND "Une bouche sans personne", il est au sommet, tout simplement.
Je vous dis quelques mots de l'histoire :
Le narrateur est né avec un violon dans le cerveau, de ces différences qui font de vous un être à protéger. De quoi ? De tout ! Des autres, du regard des autres, des enfants, de l'école, de la société en général. Son quotidien est ponctué de visites à l'hôpital, le diagnostic est incertain, il faut faire des examens, encore et encore. Ses parents l'entourent de leur amour, l'étouffent même. Lui, il a envie de vivre comme tout le monde. Mais ce monde lui est inaccessible. Il va trouver quelques êtres qui vont adoucir sa vie, lui offrir une complicité, une compréhension, le traiter d'égal à égal. Il y a les oiseaux d'abord, les cordes de son violon s'en donnent à coeur joie, ils parlent le même langage. Et puis, il y a Max, cet autre enfant, différent lui aussi, il boite. Partager ce même statut, celui d'enfant différent, va nouer entre eux une relation. La musique va venir en consolider les fondations, l'amitié qui va s'établir entre eux sera d'une force inouIe, elle résistera au temps, aux années, aux épreuves de la vie, mais là, c'est encore une autre histoire !
Je ne vais pas vous en dire beaucoup plus, il faut que vous découvriez cette pépite par vous-même(s).
Laissez-vous porter par la beauté de la plume. Tantôt grave, tantôt tendre, humoristique aussi. Gilles MARCHAND joue avec les registres, naviguant entre tous, suscitant en permanence l'ascenseur émotionnel. Vous allez pleurer, vous aller rire. La littérature contemporaine offre assez peu de romans qui vous donnent le sourire aux lèvres, c'est donc suffisamment rare pour être remarqué.
Mais plus encore, la plume de Gilles MARCHAND se distingue par sa fantaisie, sa poésie. La 1ère partie de ce roman pourrait être un conte, elle vous plonge dans le monde de l'imaginaire, du fantastique, elle vous prend par la main pour vous émanciper de la société, ces tabous, elle vous porte au-delà des limites, elle les transcende. Certains parlent de Gilles MARCHAND comme du Boris VIAN du XIXème siècle, moi je le rapprocherai plutôt de Mathias MALZIEU. Chaque auteur est singulier et c'est bien là leur qualité. Mais j'ai retrouvé cette bienveillance, cette douceur, cette gentillesse, cette attention toute en délicatesse.
Mais que l'on ne s'y trompe pas, cette plume ne les empêche nullement d'aborder des sujets graves. Mathieu MALZIEU dans son récit de vie "Journal d'un vampire en pyjama" traitait de la maladie, du monde de l'hôpital, de la mort prête à frapper à chaque instant, Gilles MARCHAND aborde, lui, la différence. Elle peut prendre beaucoup de formes. Il y a celles qui se voient, à l'oeil nu, qui vont faire de vous l'être à part, le bouc-émissaire de toutes les cours d'écoles, et il y a celles qui ne se voient pas. Plus subtilement, elles vont aussi envahir votre vie, vous faire souffrir, vous éloigner des autres, ceux qui rentrent dans la case des gens ordinaires. J'ai beaucoup vibré pour la 1ère partie de ce roman qui dissèque les effets de la différence et met des mots là où il est parfois difficile d'exprimer les choses. Elle vous fait prendre conscience de la fragilité de la normalité. Ne sommes-nous pas le différent de quelqu'un d'autre ? ne sommes-nous pas le handicapé d'un autre ? De quoi nous laisser méditer quelques heures...
Ce roman, outre le fait qu'il soit bien écrit, il est beau, il est porteur d'espoir, d'optimisme. Ces enfants différents vont se rencontrer, établir une complicité, cette relation EXTRA-ordinaire va leur donner confiance, les porter tous les deux, leur permettre d'apprendre à mieux connaître leur corps, l'apprivoiser, le revendiquer pour mieux affronter le monde extérieur, grandir, tomber amoureux, vivre quoi !
A la nôtre et à nos corps étrangers. P. 212
Et puis, il y a enfin la place de la littérature dans la vie de cet enfant. Des livres, il va en lire beaucoup. Sa mère était professeure de français, un environnement familial peut-être favorable, encore que... Gilles MARCHAND parle de la littérature qui met du baume sur les plaies, du pouvoir des livres, de la bibliothérapie, et quand on est différent, il s'agit là d'un véritable trésor, la voie de la liberté. Qui plus est, la force de la littérature, c'est qu'elle est "inépuisable".
C'était presque comme cela que je concevais la littérature pendant ces premières années de ma vie : une matière première qui s'était transformée en besoin vital. Privé d'école, privé de copains, les livres étaient devenus ma matière première. P 21
Quant à sa mère, je trouve qu'elle répondait magnifiquement bien à ses élèves qui lui demandaient si elle avait lu tous les livres de la bibliothèque :
[...] qu'elle ne les avait pas tous lus mais qu'elle avait lu des livres qui ne s'y trouvaient pas. P. 21
Toujours cette fantaisie chez Gilles MARCHAND, ce pas de côté, à l'image de ce que font les 68 Premières fois à chaque rentrée littéraire. Il y a les 15 romans dont tous les médias parlent, et puis les autres. Mais attention, nous pourrions avoir de belles surprises. "Un funambule sur le sable" est déjà sélectionné dans le cadre du Prix FNAC et Cultura. Il pourrait bien entrer dans le top 15 de cette rentrée littéraire de septembre 2017.
Pour moi, c'est un coup de coeur, et je le partage !
C'est ma 2ème lecture dans le cadre du challenge 1% Rentrée littéraire avec Délivrer des livres !
après
"Un dimanche de révolution" de Wendy GUERRA, éditions Buchet Chastel ****
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