Philippe BESSON a une écriture remarquable et surtout une sensibilité singulière pour aborder la solitude et l'émergence d'une relation à deux, pourtant improbable. Je me souvenais de la lecture il y a quelques années de son roman : "Une bonne raison de se tuer". Si comme moi, vous l'avez aimé, vous apprécierez de découvrir "Les passants de Lisbonne". Pour les autres, laissez-vous porter par le charme d'une immersion dans la capitale portugaise... allez, en route !
Hélène Villedieu vient de perdre son mari dans un séisme. Perdu, le terme souvent utilisé pour évoquer la mort sans avoir à prononcer le mot, trop cru, trop froid, trop brusque, est particulièrement adapté à sa situation. En effet, comment retrouver un corps dans une ville ravagée par un raz de marée qui a fait de nombreuses victimes ? C'est la douloureuse réalité à laquelle cette femme est confrontée. Son mari était architecte, il travaillait beaucoup aux États-Unis, il faisait de nombreux voyages d'affaires et séjournait régulièrement à San Francisco où il construisait des immeubles. Elle a quitté Paris où tout lui rappelle l'absence de son mari pour s'installer dans un hôtel portugais. Elle y apprend à vivre seule, tente d'apprivoiser le temps. Elle reste assise des heures dans le patio sans bouger.
Mathieu Belcour, lui, aussi réside momentanément dans cet hôtel. Après quelques années de vie en couple sur Lisbonne, Diego, son compagnon, a subitement décidé de le quitter. Sans crier gare, il ne lui a laissé qu'une lettre sur la table de cuisine d'un logement laissé vide. D'abord sonné par l'incompréhension de cette rupture, il chercher aujourd'hui à surmonter la souffrance de l'absence.
Philippe BESSON va lentement tisser sa toile autour de ces deux êtres malmenés par la vie et les faire se croiser. C'est Mathieu qui fera le premier pas vers Hélène, alors commence une toute nouvelle histoire...
Alors, d'un coup, ils ont le même regard, exactement, celui des abandonnés. Ils sont ceux qu'on a jetés dans le délaissement et qui tentent de s'en débrouiller, et qui sauvent la face. P. 32 chapitre 7
Les deux personnages vont accepter progressivement de se dévoiler, d'expliquer le pourquoi de leur présence dans cet hôtel, un lieu anonyme s'il en est. Que cherchent-ils au fond ? Pourquoi ce besoin irrépressible de changer d'environnement ?
C'est curieux comme on compte sur les exils pour régler nos névroses et comme on doit convenir rapidement qu'ils ne règlent rien. Au mieux, ils apaisent des névralgies. Mais on part quand même, on repart quand même. Dans les lieux neufs, les visages du passé n'ont pas les mêmes contours, ils ne sont plus aussi précis. Et on ne se cogne pas contre les moments insignifiants, vécus ensemble. P. 18/19 chapitre 3
Au gré de leurs confidences, ils vont aborder la relation de couple, son évolution dans le temps avec ses beaux moments et puis ses petits riens qui vont lentement s'immiscer, prendre leur place, parasiter la relation à deux, voire la mettre en péril...
Et dans ce décalage entre deux êtres, même infime, dans cette asymétrie, même légère, on loge des désastres. P. 24 chapitre 7
Avec cette femme, cet homme, Philippe BESSON va s'interroger sur les conséquences de l'absence sur celui qui reste. Entre la mort et la rupture amoureuse, y a-t-il une différence ? Y aurait-il une hiérarchie dans la douleur ? Par la voie d'Hélène, il va tenter d'y apporter son interprétation...
Vous savez ce que je crois ? Il y a des degrés dans la souffrance, mais pas de concurrence entre les souffrances. P. 30 chapitre 7
J'ai beaucoup aimé retrouver la plume de Philippe BESSON et son approche de la vulnérabilité de l'être humain.
Avec ces deux personnages plongés dans un huit clos quasi permanent avec, comme seule toile de fond, le patio d'un hôtel, l'écrivain propose une autre voie que les larmes. Il met des mots avec pudeur, justesse et sensibilité, sur des états d'âme. Il sait mettre un peu de lumière là où elle semblait ne plus pouvoir exister. Quel talent !
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