Je consulte ma PAL et constate qu'un livre attend toujours que je lui consacre un peu de mon temps... je ne cesse de reculer sa lecture, il s'agit du roman de Valentine GOBY : Un paquebot dans les arbres !
Vous ne tarissez pas d'éloges pour ce roman et pourtant... je suis restée sur cet échec de "Kinderzimmer" dont la lecture m'a été insoutenable et que je n'ai pas pu terminer.
Mais là, impossible de reculer, je me lance et me voilà sur le chemin d'un coup de coeur, je vous explique :
Nous sommes le 1er juillet 1962, Mathilde Blanc est de retour au sanatorium d'Aincourt où son père s'est éteint, jour pour jour, cinquante ans plus tôt. Devant le champ de ruines qu'elle a sous les yeux, elle se remémore l'allégresse autour de cette prouesse architecturale dessinée par Crevel et Decaux dont la construction a mobilisé 7000 ouvriers dans les années 1930. Ce sanatorium pouvait accueillir jusqu'à 500 patients. Son père y a été accueilli et soigné. Les souvenirs affluent, elle déroule le fil de sa vie.
Dès les premières lignes de ce roman, je me suis sentie happée par le destin de cette femme, elle-même âgée aujourd'hui, et la puissance de son acte. Revenir sur un lieu qui a marqué sa mémoire personnelle mais aussi la mémoire collective d'une population contaminée par la tuberculose n'est pas quelque chose d'anodin. Que de réflexions ont dû concourir à sa venue, précisément ce jour-là, en hommage à son père bien sûr. J'imagine assez facilement cette envie devenue irrépressible qui s'est imposée à elle mais ô combien douloureuse à la vue de ce bâtiment ravagé. Ce qui m'a profondément touchée dans la toute première page, c'est le parallèle entre l'état physique de Mathilde que l'arthrose empêche de se mouvoir avec fluidité et l'état de délabrement dans lequel gît un bâtiment qui n'a pas encore un siècle.
Elle a voulu ce pèlerinage dans le théâtre de la maladie, et aussi du plus grand amour ; mais du sanatorium d'Aincourt il ne reste rien. P. 7
J'étais touchée, incapable de lâcher ce roman d'une puissance rare.
D'abord, ce roman concourt à préserver la mémoire collective d'un lieu qui sera bientôt remplacé par un nouvel urbanisme, contemporain celui-là, avec des routes, des maisons... Quelques coups de pelleteuse en finiront avec les dernières traces de cette construction à qui Valentine GOBY dédie le titre de son livre. Le paquebot, c'était le sanatorium. En réalité, ils étaient 3, 3 bâtiments :
[...] trois paquebots de béton couleur neige, jaillis d'un océan de verdure de soixante-treize hectares. P. 10
Avec cette déconstruction, c'est toute une page de l'Histoire qui sera effacée. La tuberculose a fait de nombreuses victimes au XXème siècle, c'était hier, et quand on entend aux actualités que quelques foyers de ce virus réapparaissent aujourd'hui, il convient de se souvenir de cette période.
Mais cette mémoire est particulièrement fragile puisqu'il semble qu'il ne reste que quelques images et les souvenirs des "vieux". Valentine GOBY s'est inspirée de l'histoire familiale d'Elise BELLION pour écrire ce roman qui prend de ce fait, une dimension encore plus précieuse. Je suis personnellement outrée de découvrir que des exercices de lutte contre l'incendie n'aient pas pris plus de précaution pour sauvegarder ces éléments de patrimoine. A défaut d'historiens, il y aura les romanciers, et la démarche de Valentine GOBY est à ce propos à valoriser.
Comme je vous le disais, il s'agit donc d'une histoire familiale. Paul et Odile s'aiment, ils se marient. Ils tiennent ensemble le Balto, le bar du village. Paul fait danser les gens avec son harmonica Hohner pendant qu'Odile s'occupe des enfants. Il y a Annie, Pierre, Mathilde et Jacques. Avec sa fille aînée, Paul partage la passion de la danse, que Mathilde observe jalousement. Pierre est décédé avant la naissance de Mathilde, Paul ne s'en remet pas et traite Mathilde comme un garçon, il l'appelle "mon ptit gars" et l'emmène dans la forêt qu'il affectionne tant. Valentine GOBY nous livre en beauté la sensibilité sensorielle de ce territoire :
Dans la forêt le son précède l'image, prépare l'oeil, et Paul et Mathilde s'attendent, ayant identifié l'oiseau, à l'irruption de sa forme et ses couleurs singulières. Parfois ils entendent un grand duc, ses deux notes graves et rondes : lui, ils ne le voient pas. Ils voient les arbres. Ils lèvent la tête vers la canopée où vibre la lumière selon la densité des feuilles, c'est pourquoi ils marchent lentement. P. 28
La vie aurait pu suivre son long fleuve tranquille mais le destin en a décidé autrement. Paul tousse de plus en plus, il s'affaiblit, un jour, il décide de consulter le médecin qui lui prescrit 2 mois de sanatorium. A son retour, le "sana" comme l'appelle les gens du village, ont fait fuir les clients du Balto, le risque de contagion bien sûr.
La tuberculose est une peste, chaque gouttelette de salive suspendue dans l'air contient des dizaines de millions de bacilles de Koch à la prolifération fulgurante. P. 99
Odile n'a rien pu faire. La famille déménage dans une petite maison, à quelques dizaines de mètres de là. Je ne vous raconte pas la suite, je vous laisse découvrir cette intimité, cette histoire de vie de gens ordinaires au gré de cette très belle lecture.
Pendant que la famille Blanc mène un combat contre la maladie, d'autres font la guerre, celle de l'indépendance. Nous sommes à la fin des années 1950. L'Algérie revendique son autonomie et c'est toute la France qui tremble. Les actes terroristes tuent là-bas, le racisme se développe ici avec des actes sanglants. Valentine GOBY n'en a pas assez de l'Histoire d'Aincourt, elle poursuit son travail de mémoire autour de cette page de l'Histoire, celle-là, impossible à tourner. Il me semble avoir récemment entendu parler des piedsnoirs... il semble bien difficile de soigner ses plaies.
Sandra REINFLET évoque la jeunesse d'aujourd'hui dans son roman "Ne parle pas aux inconnus", une jeunesse qui étouffe dans un certain confort de vie. Mathilde, étouffe, elle aussi, mais pour d'autres raisons. Devenue Cheffe de famille bien malgré elle, Mathilde se bat contre les tracas du quotidien pour assurer la survie de ses parents et de son frère. C'est l'époque aussi où Mathilde découvre l'amour.
Les bras passés sous le blouson de Mathieu, noués serrés autour de son ventre, Mathilde se dit cette chose bizarre et rassurante : la deuxième maison, c'est lui ; la deuxième famille, c'est lui. P. 111
Tiens, tiens, Sandra REINFLET et Valentine GOBY ne partageraient-elles pas la même approche ? Les sujets ne transcenderaient-ils pas les années, les siècles aussi ?
Je voudrais conclure cette chronique avec la qualité de la plume de Valentine GOBY. Elle fait partie de ces écrivaines dont la beauté de la prose peut permettre d'aborder des sujets graves avec sensibilité. Un immense bravo, "Un paquebot dans les arbres" est une merveille.
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