Hasard du calendrier, le 18 mars 2016, je publiais une chronique sur "Grâce" de Delphine BERTHOLON. Un an plus tard, je reviens sur la toile avec le tout dernier roman de cette écrivaine hors pair : "Coeur naufrage", une petite bombe.
"Coeur-Naufrage", c'est le titre donné par Lyla à un poème qu'elle a écrit à l'attention d'un garçon, Hervé, son 1er petit amoureux. Mais là, elle a 17 ans, c'est l'été, elle est en vacances, elle prend son vélo et part seule en direction de l'océan. Il fait très chaud, elle est insouciante et se laisse porter par un vent de liberté. Et puis, il y a une chute, la chaîne qui saute et son incapacité à la remettre. Elle décide de marcher à côté de sa bicyclette. Elle se souvient d'un endroit fréquenté par des surfeurs et un bar ambulant. Elle y trouvera bien de l'aide. Fatiguée, elle laisse son vélo sur le bord de la route et continue son chemin à pied. A son arrivée près du van, et voyant des garçons plus âgés qu'elle, Lysa se demande si elle a fait le bon choix. Elle mesure maintenant sa prise de risque. La jeunesse aidant, elle décide de la jouer familière, elle fume avec eux, elle boit avec eux. L'heure passe, la nuit tombe, il va bien falloir penser à rentrer. Mais, son vélo, qui va le retrouver pour le réparer ? Et elle, qui va la ramener ? Joris, l'un des 3 surfeurs, décide de faire un effort, il part avec elle, et là commence une toute nouvelle histoire !
Avec Delphine BERTHOLON, je suis habituée aux lectures Coup de poing, il y avait eu "L'effet larsen" et puis "Les corps inutiles". Tantôt je fuie les coups, tantôt je les recherche, tantôt je les esquive, tantôt je les prends pleine figure. Avec la sortie de son tout dernier roman, impossible de reculer. Il faut se lancer et je sais déjà que ça va faire mal. Le livre à peine ouvert, je découvre la citation de Jonathan TROPPER extraite du roman "Le livre de Joe", elle n'est pas faite pour me rassurer :
Une ancienne petite amie, c'est un flingue planté dans votre estomac.
Avec Delphine BERTHOLON, c'est de l'émotion assurée et des effets décuplés. Le livre que j'ai refermé samedi dernier, je ne m'en suis encore pas remise ! Je vous explique.
Il y a le parcours de Lyla, et puis celui de Joris. Ces deux-là sont jeunes. On pourrait dire qu'il ont toute la vie devant eux. D'ailleurs, ils le savent, ils se sentent invincibles, rien ne peut leur arriver. Sauf que malheureusement, les individus ne sont pas à égalité.
Toujours aux femmes d'interdire, de vérifier, d'être sérieuses. Toujours ! Quoi qu'on en pense, l'insouciance des filles n'est pas celle des garçons. Quoi qu'on en pense, nous ne serons jamais égaux. P. 293
Dès les premières pages, la tension a peine créée ne va faire que se renforcer. Le jeu est déséquilibré. Lyla portera l'empreinte de cet été-là toute sa vie. Comme tous les portraits de femme brossés par Delphine BERTHOLON, celui de Lyla est écorché, son âme est marquée, comme son corps à l'image des bras de Joris nervurés par les traces d'un acte qui aurait pu être irréparable. Mais Lyla, elle, c'est son intimité qui est touchée et la vie sera faite d'autant d'opportunités pour le lui rappeler :
Les souvenirs sont des fragments qui apparaissent tantôt ici et tantôt là, au passé, au présent, n'importe comment. Des images, des sensations, des bribes, des flashs. P. 195
Il en est d'autres dont la fulgurance est d'une violence sans merci.
Je croyais l'avoir oubliée, mais les parfums réactivent la mémoire mieux que n'importe quoi d'autre et, à peine monté dans le véhicule, ma jeunesse tout entière me sauta à la gorge. P. 147
De leur jeunesse, Lyla et Joris en garderont la mémoire, notamment celle d'une redoutable haine portée à leurs parents. J'ai été bouleversée par celle que la jeune fille voue à sa mère, tout comme celle de Joris à son père. Sous la plume de Delphine BERTHOLON, il y a d'ailleurs cette fusion, ce mot composé comme si l'un n'allait pas sans l'autre et vice-versa :
Je pense à ma haine-père qui rejoignait, à l'époque, Lyla et sa haine-mère. P. 75
C'est peut-être d'ailleurs ce point commun qui éveillera la sensibilité de Joris pour Lyla, et inversement, comme quelque chose à partager pour susciter la compréhension.
Mais ce que j'aime plus encore chez Delphine BERTHOLON, c'est la puissance de la personnalité des femmes. A l'image de Clémence dans "Les corps inutiles", Nola dans "L'effet larsen", Lyla prend son destin en main, décide d'assumer ses actes et trace son chemin. Bien sûr, il y a des fragilités, des moments où les vannes sont ouvertes et les larmes coulent à flot, mais il y a aussi cette force intérieure qui permet d'avancer, d'afficher à l'extérieur une certaine dimension et sous le regard des autres de prendre de la hauteur.
Et ce n'est pas parce que Lyla, traductrice de manuscrits, est une femme de l'ombre qu'elle vit sa vie par procuration. Je saisis d'ailleurs cette opportunité qui m'est donnée de saluer le formidable travail des traducteur.rice.s qui sont des professionnel.le.s souvent oublié.e.s mais dont le talent est à remarquer. La qualité des oeuvres de Tracy CHEVALIER et Angela HUTH, Arnaldur INDRIDASEN, LEIF DAVIDSEN, pour ne citer qu'eux, ne serait rien sans l'activité réalisée respectivement par Anouk NEUHOFF, Eric BOURY, Monique CHRISTIANSEN.
Dans ce roman, on y parle de littérature, on y parle aussi photographie. J'aime beaucoup explorer un champ artistique au gré d'un roman, cette façon qu'a Elaine de faire des clichés de sa fille et de manipuler son image m'a totalement fascinée.
La composition de ce cliché est extraordinaire. Il y a tout. La solitude, la détresse, le secret, le déni, la honte. Sur ce cliché, il y a tout sauf moi. P. 69
Je ne pourrais achever ce billet sans évoquer la narration de ce roman, une lecture à deux voix, celle de Lyla et celle de Joris, un formidable regard croisé sur les événements, un procédé ingénieux, audacieux diront certains, mais parfaitement maîtrisé par une écrivaine à la plume remarquable et totalement addictive. "Coeur-Naufrage", je l'ai fermé le week-end dernier et j'en ressens déjà le manque !
Cette lecture participe au Challenge de
la Rentrée Littéraire MicMelo de janvier 2017 !
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