Il est des livres comme ça, qui s'imposent totalement à vous.
J'avais lu une excellente chronique qui avait attisé mes convoitises sur ce premier roman de Marine WESTPHAL, celle de L'ivresse littéraire. Et puis il y a eu la Masse Critique de Babelio, et puis encore, Netgalley,
et enfin Les 68 premières fois édition 2017 !
Impossible de passer à côté et au final, une lecture coup de poing, de celles qui vous marquent à jamais.
Je vous explique :
Bartolomeo, dit Lo Meo, a 58 ans. Il est victime d'un accident vasculaire cérébral. C'est lui qui occupe désormais le lit médicalisé installé dans le salon. Sali, sa femme, veille sur lui, nuit et jour. Elle se fait assister d'une infirmière pour la toilette quotidienne, la toilette de Lo Meo. La sienne, elle l'oublie. Cette femme, mariée depuis 36 ans, s'oublie. Elle n'a qu'un seul but, accompagner son mari jusque dans les derniers instants. Non, en fait, elle en a un autre, lumineux, mais c'est une toute autre histoire.
Cette situation, n'importe qui peut la vivre, aujourd'hui, demain. Un AVC a cette caractéristique d'être brutal, imprévisible, et de réduire parfois à néant les facultés encore disponibles l'instant d'avant. En une minute, que dis-je, en une seconde, le caillot de sang bouche une artère et c'est fini, ou presque. Certains comme Lo Meo sont maintenus en vie, coûte que coûte. Avec ce roman, Marine WESTPHAL, infirmière, donne à voir les conséquences d'un AVC sur toute une famille, l'épouse, et les enfants aussi.
Marine WESTPHAL évoque la mort bien sûr, mais pas n'importe laquelle, celle prévisible qui tarde à venir.
Car il est une chose plus pénible encore que d'apprendre la mort d'un être aimé, c'est de l'attendre. P. 51
J'ai été profondément touchée par le chaos mis dans cette maison, un peu comme si la mort dévastait tout sur son chemin, réorganisait physiquement cette intimité en déplaçant le mobilier et laissant apparaître les plus grandes fragilités à qui pénètre dans cet antre familial. Il y a une affaire de territoire et d'appropriation jusqu'à en dévoyer les usages ordinaires.
Le sujet est grave, le contexte glauque, la famille en perte de repères, oui, mais il y a aussi ce projet fou d'une femme "téméraire", et là, rien ne saurait l'arrêter :
Car elle avait un but, un incroyable objectif qui mobilisait toutes ses pensées et des forces : ne pas le laisser crever là, lui qui aimait tant l'impolitesse du vent et les grands espaces. P. 73
Et puis, il y a aussi l'éloge de la contemplation, cette posture qui nécessite du temps pour s'imprégner de ce qui nous entoure, source de plaisir. Nous vivons dans un monde où tout va vite, les messages électroniques suscitent l'urgence y compris pour de banales affaires. Et là, il y a un arrêt sur image, une pause !
L'immobilité est perçue comme une perte de temps, ceux qui se pressent ont peur et ratent tout de la beauté du monde. Sous nos yeux, en permanence des chefs-d'oeuvre animés, des ballets de feuilles mortes, rouquines sylphides, des nuages qui se déploient en éventail. P. 89
Le corps occupe une dimension toute particulière dans ce roman de Marine WESTPHAL. J'ai été particulièrement sensible au passage relatif à son apaisement, au lâcher prise, au moment de répit enfin accordé, comme un soulagement, une accalmie, le calme après la tornade :
Le sommeil, l'abandon total, est venu cette nuit, il a répondu à l'appel de la maison des Gravielle et retrouvé le chemin. Il s'est emparé de Sali, sans prévenir, comme d'un sac de jouets préférés. Ils ont déambulé un moment ensemble, ça faisait longtemps, elle en avait oublié la tiédeur de son souffle et son ventre tout mou. Au lever du jour, il l'a flanquée sur le matelas et elle a atterri comme ça, il n'a pas eu le temps de la remettre en place : les bras ouverts, un corps déplié qui se découvre, un coeur qui s'étire. P. 135/136.
Ce roman est pour moi une lecture coup de poing. J'ai toujours du mal à parler de coup de coeur quand je sors sonnée d'une lecture. J'ai pris un uppercut qui m'a laissée chaos. La respiration coupée ne m'a pas permis de m'émouvoir, dans quelques jours peut-être, ou bien quelques semaines, ou encore quelques mois... Cette lecture nécessite de maturer. Je sais déjà qu'elle ne va pas manquer de me hanter !
La plume de Marine WESTPHAL, vous l'aurez compris, est sans concession. Les phrases sont courtes, cinglantes, les mots sont acérés, tranchants.
Cette jeune écrivaine a du talent, c'est certain. Sa sélection dans le cadre des 68 premières fois en atteste, non ?
Cette lecture participe au Challenge de
la Rentrée Littéraire MicMelo de janvier 2017 !
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