L'édition 2016 des 68 premières fois est en voie de s'achever, et je dois dire, en beauté !
Nouveau coup de coeur me concernant pour ce 1er roman de Négar DJAVADI.
Je vous raconte :
Une jeune femme se trouve à l'hôpital Cochin de Paris. Elle suit le protocole d'une insémination artificielle. Alors qu'elle est sur le point d'aborder une nouvelle période de sa vie, celui de la maternité, elle se remémore son enfance en Iran. C'est la fille d'intellectuels mobilisés contre le régime en place, Darius et Sara Sadr. Ils sont les auteurs d'une lettre de 224 pages adressée au Shah en 1976 dont les retombées médiatiques vont nourrir la rébellion. Chaque vendredi, la maison familiale devient le QG du mouvement jusqu'à celui de septembre 1978 qui va donner lieu à une intervention militaire. Commence alors une toute nouvelle vie pour les membres de cette famille sur lesquels l'exil et le déracinement laisseront une empreinte indélébile.
Avec ce magnifique roman qui revêt un caractère historique, j'ai revu défiler toutes ces images télévisées de la révolution iranienne de 1979. Âgée alors seulement d'une dizaine d'années, je ne comprenais pas tout bien sûr. Et là, avec Négar DJAVADI, j'ai pu reconstituer le puzzle d'événements qui continuent de nous impacter encore aujourd'hui. N'y a-t-il pas si longtemps les Français étaient dans la rue pour défendre leur liberté d'expression. "Il faut casser les stylos !" est un slogan lancé au peuple par Khomeiny cette année-là !
C'est l'histoire d'un pays, d'une nation, à travers ces 50 dernières années qui est abordée. Ce qui m'intéresse dans ce type de roman, outre la grande Histoire bien sûr, c'est d'aborder une dimension plus humaine avec l'itinéraire d'individus qui pourraient nous ressembler. Avec cette saga familiale, Négar DJAVADI nous permet, le temps d'un roman, de partager le quotidien d'un couple de résistants, d'appréhender les traits de caractère de celle ou de celui qui va donner une priorité à l'intérêt général sur celui de ses proches. Alors même que Darius et Sara ont leur 3 enfants, qu'ils pourraient privilégier leur confort familial et attendre que d'autres se mobilisent, ils agissent.
"Tu es consciente que je vais poser une bombe ?" lui dit-il avec un sourire tendre et complie. Sara hocha la tête, le coeur battant. Il se pencha et l'embrassa. Elle l'accompagna jusqu'à la porte, le regarda descendre les quelques marches qui menaient à la cour embellie par les couleurs de l'automne qu'elle aimait tant. Puis elle regagna la cuisine pour pouvoir le suivre des yeux à travers la fenêtre. P. 182
Négar DJAVADI brosse le portrait d'une femme déterminée, que rien ne saurait ébranler. Un sacré personnage !
A cet instant, tandis qu'assise dans l'étroite cuisine, Sara Sadr, bientôt trente-sept ans, écoutait Darius Sadr, quarante-neuf ans, exposer les points qu'il comptait développer dans sa lettre, elle ne pensait pas une seule seconde à ses filles, douze, dix et cinq ans, endormies dans les chambres au fond du couloir. P. 180
La famille sera contrainte à l'exil pour sauver sa peau. Elle va quitter Téhéran en Iran pour arriver à Paris en France, pas moins de 5276 kilomètres à parcourir dans des conditions inimaginables. Ce roman fait un focus sur les migrations et le prix payé par les communautés inscrites pour le départ, de quoi nous donner à méditer sur les mouvements de populations qui s'opèrent aujourd'hui et dont les Français ne mesurent, trop souvent, que les conséquences sur le pays d'arrivée, leur pays à eux ! Il touche également du doigt les impacts sur les individus :
Je suis devenue, comme sans doute tous ceux qui ont quitté leur pays, une autre. Un être qui s'est traduit dans d'autres codes culturels. D'abord pour survivre, puis pour dépasser la survie et se forger un avenir. Et comme il est généralement admis que quelque chose se perd dans la traduction, il n'est pas surprenant que nous ayons désappris, du moins partiellement, ce que nous étions, pour faire de la place à ce que nous sommes devenus. P. 54
Le choc des cultures serait sans doute plus facile à surmonter s'il n'y avait cette barrière de la langue :
J'étais confrontée à un monde que je voyais, touchais, mais ne savais pas nommer. Des quantités de mots, des quantités de noms, me manquaient. Fleurs, arbres, oiseaux, reptiles, organes. Des mots que l'on apprend en grandissant dans un pays, que la langue réserve à ceux qui se baignent dedans et dérobe à ceux qui s'y trempent de temps à autre. P. 113
Et puis, en dehors de toute relation avec une quelconque immigration, Négar DJAVADI va donner une dimension contemporaine et occidentale à ce roman avec cette insémination artificielle vécue par la narratrice. C'est alors la condition féminine en passant par l'homosexualité qui va être explorée.
Ce roman, je vous l'ai dit, il est dense, mais il est surtout particulièrement réussi. En effet, outre une plume fluide, Négar DJAVADI orchestre cet écrit de façon ingénieuse, à l'image d'un disque vynile, un 45 tours, avec sa face A et sa face B. Et si elle s'interroge sur la qualité de la face B de son roman, je puis lui assurer que tout comme I will survive de Gloria GAYNOR, Into de Groove de Madonna et Johnny Verso de The Communars, c'est un succès !
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