Il y a des romans, il y a des BD, et puis il y a aussi des récits. Pas n'importe lequel, celui de Magyd CHERFI, cet homme qui fut le parolier du groupe Zebda.
Avec "Ma part de Gaulois", l'auteur revient sur son enfance, son adolescence, dans un quartier nord de Toulouse.
Il y raconte les codes de la cité et de la nécessité d'être en échec scolaire pour ressembler à ses pairs.
Mes copains bloquaient face à tout ce qui s'apparente à l'école, à l'apprentissage des phrases - à construire dans un sens ou dans un autre. Leur révolte trouvait un sens à contre-courant du sensé, leurs mots devaient exprimer l'état du moment qui était rarement paisible. P. 27
Gare à celui qui travaille bien à l'école comme Magyd, il est promis à une pluie de coups ! Mais Magyd n'en a que faire, il faut dire qu'il a une mère particulièrement présente et qui attache beaucoup d'importance à la réussite scolaire de son fils.
C'en était trop, mais comment faire face à cette femme sans âge, sans sexe et sans mémoire qui voulait tout reconstruire à travers moi comme un premier jour du monde ? Elle n'avait pas été, il lui fallait être et c'est moi qui devais couper le cordon, lui donner vie, la faire renaître. Comment faire face à cette femme qu'avait vendu le paradis pour un diplôme ? P. 84
Lui était un garçon, il se devait d'affronter sa mère. Les filles, elles, attirées par le savoir, la culture, la connaissance, elles étaient agressées par un père, un frère... à l'image de Bija, cette fille de la cité tabassée pour avoir été découverte avec le roman de Stefan ZWEIG dans les mains : "Vingt-quatre heures de la vie d'une femme".
Magyd ne supporte pas cette violence
J'ai maudit cette illusion de croire qu'un livre vous sauve, un livre quartier nord ça vous écourte le passage sur terre. P. 47
Magyd essaie de sortir du quartier pour s'émanciper de ses références, mais là, c'est un tout autre combat qui s'offre à lui, celui du regard des autres sur l'enfant de la cité, fils d'étrangers :
Vos parents sont algériens je crois, vous les féliciterez de ma part pour votre parfaite intégration.
Dommage, que je me suis pensé, il était bien parti. P. 66
Face à ce type de propos, que de questionnements...
On en était là même avec les proches. Chez nous, chez vous, barbouillés du cerveau jusqu'à aujourd'hui dans quel "nous" est-ce que je m'intègre, moi, et à quel "vous" j'appartiens. Où m'inclure, où m'exclure ? Ai-je donné un accord pour appartenir à l'un ou à l'autre ? P. 181
Certains optaient alors pour la revendication pointant du doigt l'acte raciste à chaque opportunité :
C'était son argument favori, raciste ! Quel prof ne se l'était pas entendu proférer par Momo ? Susceptible comme un prédateur de nuit, il en ratait pas une et ça avait fini par sérieusement nous gonfler. P. 171
D'autres encore, les filles en particulier, optaient pour le repli, l'enfermement :
Elle s'était construit un monastère de voiles dans lequel elle s'était retirée au compte-goutte, laissant un ultime espoir à rien mais le suppliant tout autant de la rattraper avant fermeture définitive. Le doute l'avait séquestrée au plus profond. C'était l'amour total ou rien, et devant ça j'avais pris mes jambes à mon coup. P. 174
Magyd, lui, était amoureux des mots, de la culture. Son arme à lui, c'était la connaissance, le savoir. Mais même avec l'obtention du bac il s'est vu renvoyer une certaine condition :
Agnès me regardait avec admiration, elle accordait à mon bac un intérêt supérieur, comme si le sien n'était qu'une formalité administrative. Je vivais ça comme un racisme à l'envers. Pourquoi ce bac n'était qu'une anecdote pour elle et pour moi un exploit ? P. 203
Quant à la politique, alors là, c'est encore une autre histoire, avec un grand H s'il vous plaît ! Il suffit de remonter aux années Mitterrand pour s'en convaincre. Et là, vous n'êtes pas au bout de vos découvertes. Depuis la guerre d'Algérie jusqu'à son arrivée au pouvoir en 1981, il n'y a qu'un pas avec des traces laissées pour des générations et des générations. Mais il n'a pas été le seul, c'est tout un mouvement qui a voulu s'emparer du sujet au risque de le dénaturer...
En attendant, de partout surgissaient comme des rats échappés des égouts de jeunes banlieusards épris de danse, de hip-hop, de mode et de poésie. Tous les arts étaient travestis à la mode multicolore. La gauche allait bientôt se gargariser du mot "beur". Elle entamait le travestissement de notre identité et d'une revendication qui était la nôtre et qui jamais ne verrait le jour : l'égalité des droits. P. 144
Que d'amertume devant le chemin parcouru ! Magyd CHERFI l'exprime pourtant avec une plume ô combien poétique :
Je voulais prouver qu'on pouvait être fils du pauvre sans que ça traduise l'obscurité faite maison, je n'avais fait qu'éclairer la grotte à la bougie. P. 231
Des phrases comme celles-là, et plein d'autres qui suscitent la réflexion, je les ai repérées avec de petits adhésifs de couleur. Et au final, ça donne ça... un livre hérisson !
Il est beau, non ? Je plains surtout celle qui trépigne de le lire et à qui je vais le prêter, elle ne se doute sûrement pas de l'effort qu'elle va avoir à faire pour pouvoir découvrir ce très beau récit, mais la fin justifie les moyens !!!
Je ne suis pas la seule à avoir repéré la qualité de la prose de Magyd CHERFI, ce récit faisait effectivement partie de la 1ère sélection des 16 ouvrages en lice pour le Goncourt.
J'ai maintenant hâte qu'il écrive sur sa vie d'adulte pour comprendre comment il a réussi à s'affranchir du poids de la cité pour devenir l'homme qu'il est aujourd'hui. Né en 1962, il offre le recul de toute une génération qui a vécu dès son plus jeune âge en quartier prioritaire.
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