Après l'internement en hôpital psychiatrique, évadons-nous. Embarquons pour de nouveaux horizons, pas à bord d'un bateau de croisière en touriste, non, en professionnel sur un bateau de pêche. Bienvenue à bord sur "Le Rebel" ! Son nom, c'est déjà toute une histoire ! Ne nous arrêtons pas là. Naviguons jusqu'en Alaska pour une campagne de pêche à la morue noire. Quitte à partir, autant que ça soit pour les conditions de l'extrême. Là-bas, le climat y est hostile, il va falloir se battre contre les éléments en furie. Mais il n'y a pas que le climat, il y a les hommes aussi, et puis les conditions de travail. Il va falloir cohabiter dans des espaces exigus, dormir dans des cabines envahies par l'odeur du poisson, s'exposer aux risques de la mer, manger à des horaires irréguliers, non pas quand la faim vous tenaille mais quand le travail est terminé, dormir aussi seulement quand les filets sont relevés et que le poisson sombre dans la glace... Alors, quand on est une femme comme Lily et d'un poids plume, ce voyage revêt une dimension toute particulière.
Ce roman, c'est un roman d'apprentissage. Quand on pense roman d'apprentissage, on pense souvent aux adolescents, aux jeunes adultes, à celles et ceux qui commencent leur vie et apprivoisent l'autonomie. Mais en réalité, on peut apprendre toute sa vie. Et pour s'en convaincre, il suffit de suivre le chemin tracé par cette femme au parcours atypique et qui, un jour, décide d'embarquer pour le bout du monde. Elle ne connaît rien à ce métier, n'a aucune qualification, aucune compétence à valoriser, seulement sa motivation, son mental, n'est-ce pas l'essentiel ? Grâce à sa pugnacité, et malgré son petit gabarit, fluet, elle va prendre le large et vivre les conditions d'une campagne de pêche.
Elle a bien échangé avant de se lancer dans cette aventure. Elle les a bien écoutés ces hommes de la mer qui connaissent le travail. Ils ne lui ont rien caché...
Embarquer, c'est comme épouser le bateau le temps que tu vas bosser pour lui. T'as plus de vie, t'as plus rien à toi. Tu dois obéissance au skipper. P. 37
Mais pour Lily, il n'y a déjà plus de débat. Dans sa tête, elle est déjà partie. Pourquoi fait elle ça Lily ? Elle va s'en poser des questions, y compris, voire surtout, dans les moments les plus difficiles de l'aventure. Et même si elle n'est sûre de rien, elle va tenter de trouver un sens à cette quête :
Peut-être aussi que je voulais aller me battre pour quelque chose de puissant et beau, je continue en suivant des yeux l'oiseau. Risquer de perdre la vie mais au moins la trouver avant... Et puis je rêvais d'aller au bout du monde, trouver sa limite, là où ça s'arrête. P. 163
Lily fait partie de ces femmes que rien n'arrête. Alors, l'égalité hommes/femmes, vous pensez bien qu'elle n'en a rien à faire. Pour autant, elle est bien obligée de constater qu'elle est seule sur "Le Rebel", et qu'elle seule aussi dans les ports quand les marins fréquentent les quais et les bars, le temps de la livraison du poisson. Les hommes, eux, par contre, ont un avis sur le sujet. Ils ne sont pas tous contents de voir une femme embarquer sur leur navire. L'un d'entre eux lâche le morceau et lui laisse à voir une réalité :
Les hommes qui les veulent pas à bord - pas les petits mecs comme Simon qui ne font que répéter sans savoir mais les vrais hommes -, c'est peut-être parce qu'ils ont peur qu'on leur prenne leur bateau, s'elles se l'approprient, qu'elles veuillent tout révolutionner, foutre de l'ordre - le leur - flanquer leur merde.
- Leur merde ?
- Ben oui, ces histoires de pouvoir toujours, leurs colères, leurs rancoeurs, leurs comptes à régler avec la race des mecs, toutes ces conneries qu'ont pas leur place à bord. P. 132
C'est le regard d'un homme, mais quand Lily découvre une femme, au même physique qu'elle, elle s'interroge sur ce qu'elle fait, le rôle qu'elle joue à bord du navire et là, il y a un mentor, quelqu'un qui a déjà fait sa place dans cet univers masculin et qui a tenu dans la durée. Elle lui livre son regard sur le métier de marin et quelques conseils pour l'avenir :
Tu dois bien le savoir, l'important c'est pas la grosseur des muscles. L'important c'est de tenir bon, regarder, observer, de se souvenir, d'avoir des de la jugeote. Ne jamais lâcher. Jamais te laisser démonter par les coups de gueule des hommes. Tu peux tout faire. L'oublie pas. N'abandonne jamais. P. 93
Bien sûr, il y a des moments difficiles à bord. Lily va devoir surmonter les effets d'une vilaine blessure pour survivre. Mais il y a aussi la beauté de la nature, des moments fugaces faits d'enchantement.
Dans les yeux des hommes, ce même émerveillement toujours quand ils croisent la reine des mers. [...] Plus tard, ce sera une loutre de mer qui fait la planche, entre ses pattes avant un poisson qu'elle mange d'un air cocasse. P. 127
Et ensuite, il ne s'agit plus qu'un besoin irrépressible de reprendre le large...
On franchit l'étroit goulet du port, on passe les premières bouées. Il fait si beau dans tous ces cris. Le soleil était presque tiède au port, la brise, sitôt quitté l'abri de la jetée, nous donne la chair de poule, hérissant nos bras nus, rabat nos cheveux dans les yeux, m'enivre, avec ses odeurs d'algues, ses parfums âpres et puissants comme des appels vers le grand large. P. 160
Ce roman, c'est aussi un récit de vie. L'écrivaine, Catherine POULAIN, a réellement embarqué pour l'Alaska, ce territoire magique, à la fois fascinant et à la fois angoissant :
C'est comme l'Alaska je dis encore. On oscille sans cesse entre la lumière et l'obscurité. Toujours les deux courent et se poursuivent, toujours l'une veut gagner sur l'autre, et l'on bascule du soleil de minuit à la grande nuit d'hiver. P. 333
Elle est partie à sa conquête et en est revenue avec une formidable philosophie de vie :
Résister, aller au-delà, surpasser. Tout. [...] Résister. Lutter pour notre vie dans des éléments qui nous dépasseront toujours, qui seront toujours les plus forts. Le challenge, aller au bout, mourir ou survivre. P. 333
Entre fiction et réalité, mon coeur balance ! Mais dans tous les cas, Catherine POULAIN m'apparaît comme un sacré personnage !
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