C'est le 1er d'une longue série de 1ers romans mais il pourrait s'agir de 1ers romans sortis il y a quelques années, découverts récemment comme...
Balzac et la petite tailleuse chinoise ou bien Pour l'amour d'une île...
Non, là, il s'agit de 1ers romans exceptionnels.
D'abord, ils font partie des 68 premières fois, ce collectif créé à l'initiative de Charlotte MILANDRI qui donne déjà lieu, après quelques jours seulement, à une frénésie folle sur la toile !
Ensuite, il s'agit de 1ers romans tout juste sortis des presses pour la rentrée littéraire d'hiver et qui attendent encore leurs heures de gloire pour ceux qui bénéficieront des honneurs de la rentrée littéraire de septembre 2016. C'est donc de l'actu, rien que de l'actu !
Enfin, parce qu'il s'agit de 1ers romans qui seraient sans doute passés inaperçus sans le coup de pouce de l'Insatiable et des 75 doux.ces et dingues lancé.e.s dans l'aventure !
Alors, quand je me surprends à aller faire le relevé du courrier (j'en avais perdu l'habitude devant le si peu d'objets osant encore reposer dans ma boîte aux lettres !), et que je découvre une enveloppe légèrement gonflée par le volume du livre et adressée à mon nom, je saute au plafond ! Et ce n'est encore rien...
Maintenant, à livre exceptionnel, moment exceptionnel.
Dimanche soir, je m'isole pour une parenthèse de 2h30 rien qu'à moi, un plaid, une théière pleine de son meilleur crû, Le Thé Rose Congou n° 23, blottie dans mon fauteuil préféré, je me lance...
De ce pas, c'est le titre du 1er roman de Caroline BROUÉ.
Autant vous le dire tout de suite, je vais passer 2h30 en apnée totale et ce n'est pas peu dire à la lecture des 1ères lignes :
Afrique du Sud, au large de Gansbaaï, juin 2005, Marjorie est enceinte de six mois. Elle nage avec masque, palmes et tuba, à quelques dizaines de mètres du bateau quand, tout d'un coup, il lui semble voir une masse qui se rapproche. Tout va très vite dans sa tête, la Shark Alley, ce couloir marin connu dans le monde entier pour sa concentration de grands requins blancs [...].
Marjorie est une jeune femme. Sa mère est décédée l'année dernière d'un cancer foudroyant. Son père est disparu depuis longtemps. Elle vit avec Paul et porte son enfant. Elle se souvient de son parcours, son exil, sa migration. Elle a quitté le Cambodge avec sa mère en 1975. Son père a organisé ce départ dans la précipitation alors que les victimes du génocide ne se comptent déjà plus. Elle arrive en France et intègre l'Ecole de Danse de l'Opéra.
Ce roman est construit comme un puzzle. Il apparaît dans sa version achevée dans les premières pages et puis progressivement, chaque pièce va se détacher pour devenir une entité à part entière que Caroline BROUÉ va nous faire explorer dans les moindres détails.
"Prodigieux" comme le dit elle-même l'écrivaine P. 93.
J'ai été subjuguée par la grâce, le raffinement de la danse. Il y a des paragraphes entiers dédiés à ces pas qui, guidés par des danseurs étoiles, deviennent des oeuvres artistiques à part entière et d'une beauté extraordinaire.
C'est un balloté. Un saut d'un pied sur l'autre, d'avant en arrière. Ou plutôt, un dérivé de ballotté. Deux mouvements lancinants s'affrontaient et se répondaient en même temps : d'un côté l'hésitation, de l'autre la stabilité. L'homme et la femme commençaient par balancer les bras, poignets joints, paumes ouvertes vers le sol, genoux fléchis, en quatrième position, tête droite, avant de se relever en développé." P. 18
La danse ne serait rien sans le corps bien sûr, mais plus subtil, il ne serait rien sans la pensée, les 2 intimement liés dans la réalisation d'une chorégraphie :
Qu'est-ce qui fait bouger le squelette ? Les muscles. Et qu'est-ce qui active les muscles ? La pensée. Vous n'arriverez à rien en danse sans la pensée." P. 19
Caroline BROUÉ ne va pas se contenter d'aborder l'art par la seule voie de la danse, elle va aussi emprunter celle de la peinture et là, c'est encore tout un spectacle !
J'ai été profondément émue par l'itinéraire de cette jeune femme sur le chemin de la résilience, une jeune femme marquée par son propre déracinement, l'absence de son père, la souffrance liée à la mort de sa mère, et puis sa douleur devant un corps qu'elle ne maîtrise plus.
J'ai été frappée par la manière de Caroline BROUÉ de ponctuer ce roman par un terme de façon récurrente : "construire". Tantôt décliné seul...
Construire, c'est aller des fondations au dernier étage de la maison. C'est à la fois bâtir en partant de rien, fixer ensemble les différentes parties d'un objet, élaborer quelque chose, et disposer dans un certain ordre." P. 29
Tantôt pronominal : "se construire" P. 74, il s'offre parfois une 2ème chance : "se reconstruire" P. 72.
Mais il arrive qu'il soit aussi plongé dans le chaos et là, il devient nom : "destruction" P. 118 !
J'ai mesuré le poids et l'énergie des souvenirs dans cette façon qu'à l'être humain d'avancer :
Les souvenirs ne sont pas prophètes. Ils disent l'époque révolue, celle qui s'est pour toujours éteinte, et qu'une mélodie ou la sérénité d'un feu de cheminée ravivent un bref instant." P. 57
Pour moi, un roman est complet lorsqu'il flirte avec l'Histoire. Et là, avec le personnage de Justine, je suis comblée.
En fait, à bien y regarder : l'art, la psychologie et l'Histoire s'y retrouvent mêlés sous une plume parfaitement maîtrisée. Ce roman porte très bien le costume d'un coup de coeur !
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