Traduit de l'anglais (Australie) par Isabelle CHAPMAN.
Impossible de ne pas tomber sous le charme de Gérard COLLARD plébiscitant ce roman de Karen VIGGERS dédié à sa grand-mère, Rhoda Emmy Vera VIGGERS 1912-2009.
Encore une référence de mon libraire préféré !
Nous sommes en Tasmanie, au Sud-Est de l'Australie. Mary, une femme de 77 ans, vit à Hobart, la capitale de l'Etat. Elle est veuve depuis 9 ans maintenant. Jack est décédé d'une crise cardiaque. Il était gardien de phare. Elle reçoit une visite insolite, celle d'un vieil homme qui lui remet une lettre sur laquelle figure un destinataire. Hantée par cette lettre, elle décide de partir vivre ses derniers jours sur l'île où elle a vécu en famille avec son mari et ses 3 enfants. Jamais sa fille, Jan, n'aurait accepté cette dernière volonté. C'est donc à sa petite fille, Jacintha, 25 ans, qu'elle va demander de l'accompagner au Chalet de Cloudy Bay. Là-bas, le climat est hostile. Vent fort, pluie incessante, les éléments se déchaînent. Son état de santé se dégrade. Elle est seule et se repose sur Léon, le garde-forestier, qui passe chaque jour vérifier que tout va bien. Elle passe ses journées à revisionner le film de son existence marquée par un terrible secret.
Parallèlement, il y a l'itinéraire d'un de ses 2 fils, le cadet, Tom, qui a connu aussi un climat hostile. Il est diéséliste et il a fait partie d'une expédition en Antartique. Il ne s'en est jamais remis.
C'est un magnifique roman qui mêle de manière tout à fait subtile et ingénieuse deux parcours de vie.
Bien sûr, la vieillesse y est abordée avec différentes approches de ce qui est bon pour pallier les fragilités naissantes. Il y a cette femme qui veut être libre de vivre les derniers moments de sa vie dans la solitude mais aussi sur les pas de son très regretté Jack. Il y a les enfants qui ne sont pas d'accord entre eux, la relation et l'intimité entretenues tout au long de leur vie avec leur mère ne manqueront pas de nuire à la sérennité familiale.
Il y a aussi l'évolution du couple au gré des années de vie commune.
Sa présence rassurante, leur acceptation réciproque, le fait qu'ils n'attendaient rien de plus, tout cela lui manquait. Pour en arriver là, à cette sérénité, il avait fallu une vie entière - un rude voyage sur une route peu carrossable. Mais c'était cela l'amour, sûrement, pas une brève flamme qui ne vous éclaire qu'un instant. P. 58
Il y a le poids du secret familial et ses conséquences, tant sur la vie de ceux qui le cachent et croulent sous son poids que sur celle de ceux qui en sont victimes sans en connaître les contours.
Il y aussi le charme et l'attirance irrépressible des climats hostiles une fois qu'ils ont contaminé l'être humain.
L'Antartique possède un charme auquel on succombe pour la vie. Peut-être est-ce l'effet du paysage ; sa sauvagerie, son désert, sa nudité. Ou peut-être est-ce à force de voir tout ce blanc. Ou l'intensité des relations qu'on y noue. Quoi qu'il en soit, ce vaste espace et cette clarté resplendissante opèrent sur vous une transformation. Vous vous découvrirez autre, nouveau. Vous voilà capable de vous fondre dans les lointains. Et cette sensation de liberté vous donne des ailes. En même temps, le germe d'une nostalgie éternelle a été planté en vous. Vous ne penserez plus qu'à y retourner. A vous glisser dans cette nouvelle peau qui est la vôtre sur la banquise, ce "moi" qui ne connaît plus les bornes conventionnelles. De retour dans votre ancien monde, parmi les blessures que vous a infligées le pôle Sud, le regret lancinant vous ronge. Votre âme est enchaînée. Vous ne guérirez pas avant des années. P. 82
Il y a enfin la relation aux mots. Je ne peux que saluer la plume de Karen VIGGERS et de sa traductrice, Isabelle CHAPAM, qui permet de classer ce roman de très beau.
ô combien romanesque, l'écriture se distingue par le choix des mots et des métaphores pour traduire les sentiments que ressentent chacun des personnages.
Du haut de son grand âge, elle distinguait la maille qui avait sauté dans le tricot de leur vie commune. Elle avait mis des années à comprendre que, si on ne les prononce pas à point nommé, les mots s'effacent pour toujours. P. 117-118
"Absolument sublime" comme le signe Gérard COLLARD dans Le Magazine de la Santé ; une nouvelle fois, je suis bien obligée de suivre son avis... avec le plus grand plaisir !
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