Je commence à bien connaître la plume de Jeanne BENAMEUR et c'est toujours un réel plaisir que de retrouver les qualités de son écriture. Alors, quand Ludo, Martine, Nina, Catherine, Caroline (je les remercie tous d'ailleurs !) me conseillent de commencer mes vacances en sa compagnie, je fonce !
Après "ça t'apprendra à vivre", "La boutique jaune", "Laver les ombres", "Les insurrections singulières", "Profanes", il s'agit cette fois de son tout dernier roman intitulé "Otages intimes".
Etienne, photographe de guerre, est sur le chemin du retour. Il a été séquestré quelques mois. Alors que ses yeux restaient fixés sur une scène de la vie quotidienne, une femme transportant de l'eau avec ses enfants, il est arraché à sa rêverie par des ravisseurs qui l'emprisonnent et font de lui une monnaie d'échange. Le jour où il parcourt plus de pas que ceux nécessaires quotidiennement pour rejoindre des toilettes de fortune, il perd tous ses repères. Que va-t-il lui arriver ? C'est en réalité la liberté qui s'annonce. Saura-t-il de nouveau l'apprivoiser ?
Dans ce très beau roman où chaque mot a son importance, le lecteur accompagne Etienne dans sa reconstruction. Mais Jeanne BENAMEUR n'est sûre de rien. Elle pose de nombreuses questions et interpelle le lecteur dans ce douloureux itinéraire fait de moments de bonheur mais aussi de grande souffrance.
Ce dont elle est sûre toutefois, c'est que les mots joueront un rôle essentiel dans cette reconstruction :
Il a besoin des mots. Lui qui a rapporté tant d'images qui laissent sans voix il lui faut des mots. Pour tenter de comprendre. Il a besoin de retrouver le sens à sa racine. Il lui faut retourner à l'étymologie pour se guider. Comprendre. P. 95
J'ai été bouleversée par les retrouvailles de la mère avec son fils, une relation extraordinaire dans ce qu'elle a de plus charnel. Elle y est parfaitement décrite, tout comme cette angoisse que vivent en permanence les mères devant les prises de risque de leur progéniture.
Son pas aura désormais cette fragilité de qui sait au plus profond du coeur qu'en donnant la vie à un être on l'a voué à la mort. Et plus rien pour se mettre à l'abri de cette connaissance que les jeunes mères éloignent instinctivement de leur sein. Parce qu'il y a dans le premier cri de chaque enfant deux promesses conjointes : je vie et je mourrai. P. 60
Le rapport au corps y est de nouveau appréhendé avec beaucoup de justesse. Ce roman m'a beaucoup rappelé "Laver les ombres" qui m'avait profondément touchée sur ce sujet. Jeanne BENAMEUR aborde le corps comme un territoire à distinguer de la chair :
Parce qu'elle est bien là , la différence entre corps et chair. Les corps peuvent bien retrouver la liberté. La chair, elle, qui la délivre ? Il n'y a que la parole pour ça. P. 52
Une nouvelle fois, Jeanne BENAMEUR convoque les arts. Il y a la photographie bien sûr avec le personnage principal qui travaille dans des pays en guerre. Elle en profite pour rappeler le sens de la démarche à qui en douterait :
Continuer à être celui qui porte témoignage, encore et encore, même si ses images sont pour le désert et qu'il crève un jour comme un chien, seul au milieu de gens parlant une langue qu'il ne comprendra pas. P. 119
Jeanne BENAMEUR y avait déjà fait référence dans La boutique jaune avec cette jeune collégienne, Marion, qui disait d'elle-même qu'elle était une "guetteuse" et voudrait plus tard en faire son métier en devenant photographe !
Elle lui avait dédié le titre de l'un de ses romans également : Laver les ombres. Ce sont des termes techniques utilisés par les photographes et qui veulent dire : mettre en lumière un visage pour en faire le portrait.
Il y a la musique aussi, la musique qui devient le lien indéfectible entre 3 enfants du village. La mère d'Etienne qui était institutrice a construit un pont entre Etienne, son fils, Jofranka, cette petite fille abandonnée et placée dès sa naissance, et Enzo, le fils de l'Italien. A eux trois, ils s'essayent à la sonate de Weber, Etienne au piano, Jofranka à la flûte et Enzo au violoncelle. La musique qui, à l'âge adulte, continue de les ressourcer.
Irène les laissait faire. Mais c'était elle qui avait installé la musique dans leurs vies. Aujourd'hui Etienne mesure la subtilité de cette éducation. Libre et exigeante. Irène savait ce qu'elle faisait. La musique c'était la rigueur sinon pas de beauté. Et il n'y avait aucun commentaire à faire. Il suffisait d'écouter. P. 89
Mais les romans de Jeanne BENAMEUR ne seraient pas ce qu'ils sont s'ils ne donnaient pas au lecteur cette possibilité de se sentir concerné par les destins des personnages. Celui d'Etienne paraît éloigné de nous mais il en est de bien plus proches à l'image d'Emma, la compagne d'Etienne, qui se dit elle-même otage, otage des absences d'Etienne. L'écrivaine nous fait toucher du doigt la part d'otage que chacun a dans sa plus profonde intimité et là, c'est une toute autre histoire qui commence.
Bref, c'est un excellent roman.
Pour autant, 2 questions me taraudent.
Il y a d'abord cette couverture qui m'a rappelé celle d'un livre que j'ai lu il y a quelques années : "La maison du retour" de Jean-Paul KAUFFMANN. Le même sujet y est traité, le même retour à la nature. Leurs différences reposent bien sûr dans le genre (l'un est une fiction, l'autre un récit autobiographique), la narration ("Otages intimes" est à la 3ème personne du singulier alors que la "La maison du retour" est à la 1ère). Mais pourquoi cette ressemblance aussi frappante ?
L'autre question concerne la dédicace de ce roman : à sa mère d'une part, et à Majid RAHNEMA, Diplomate et ancien Ministre iranien. Pourquoi cet homme ?
Peut-être pourrez-vous m'aider à y répondre...
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