Pour la 3ème année consécutive, deux passionnées de littérature, Nicole et Delphine, nous invitent à composer un calendrier de l'Avent un brin singulier. On y parle de livres, j'adhère bien sûr. C'est l'occasion de revenir sur de belles lectures de l'année.
J19
"Le livre le plus émouvant"
J'ai choisi "Au café de la ville perdue", le second roman d'Anaïs LLOBET aux éditions de L’Observatoire, un coup de coeur.
La jeune journaliste française installée à une table du café Tis Khamenis Polis suscite bien des convoitises. Il y a Giorgos qui égrène ses souvenirs de Varosha, sa vie là-bas, son hôtel Seaside. Et puis, il y a Ariana, serveuse, qui vient passer ses pauses avec elle et lui raconte l’histoire de sa famille : son père Andreas, élevé par sa tante Eleni récemment décédée. Ses parents à lui se sont évaporés, sa mère, Aridné, était une chypriote turque. Elle serait partie avec un soldat. Lui, rongé par le chagrin, aurait pris la mer, sans jamais revenir. Ariana est habitée par cette filiation. Elle est aussi hantée par cette maison de Varosha dont l'adresse,14, ados Ilios, tournoie autour de son bras. Cette maison, c'est celle que ses grands-parents ont dû abandonner au moment du coup d’Etat de 1974. C’est là que la grande Histoire s’invite à la table des deux jeunes femmes pour ne plus la quitter.
Ce roman, c’est un roman dans un roman, celui d’une journaliste qui va, au fil des confessions d’Ariana, tisser celui de la ville morte, Varosha devenue zone militaire. Sa forme littéraire concourt à la mémoire d'une page de la grande Histoire chypriote, une page contemporaine de son Histoire, j'avais 5 ans lors du coup d'Etat. Si l’écrivaine ne qualifie pas son livre d’historique, il se nourrit pourtant d’évènements marquants du passé.
J’ai été fascinée par la quête d’Ariana, la puissance du fantasme de cette maison 14, rue Ilios, sur son itinéraire personnel, ses études d’architecture dictées par la volonté de reconstruire « sa » maison, son besoin irrépressible d'aller sur site et de lui redonner vie.
Aridné, comme Ariana, sont des femmes qui chacune à leur époque, mènent des combats à mains nues. Il y a celui de la paix, il y a celui de la justice aussi. Les deux femmes sont intelligentes. Elles ne sauraient se résigner à accepter la destinée de leur patrie.
Anaïs LLOBET réussit à incarner chacun des camps et lever le voile sur le grand échiquier du monde.
Je découvre avec ce roman la plume de Anaïs LLOBET, romanesque à l’envi, sensible, pudique, pleine d’humilité, portée par un profond humanisme. La chute est prodigieuse, bravo !
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