Karine TUIL nous revient dans cette rentrée littéraire de janvier 2022 avec "La décision", un roman vertigineux publié aux éditions GALLIMARD.
Je me souvenais de l'uppercut de "L'insouciance", ce gros pavé découvert avec l'équipe de PriceMinister Rakuten dans le cadre des Matchs de la Rentrée Littéraire. Je m'en souviens comme à la première heure, c'est dire si l'histoire comme la plume m'avaient scotchée.
Et puis, il y a eu les Entretiens Littéraires organisés à la Collégiale Saint-Martin d'Angers par le Département de Maine-et-Loire, et cette rencontre dédicace avec l'autrice, un moment inoubliable avec une femme d'une profonde humilité.
J'ai rechuté. Bien m'en a pris. Ce roman, c'est un tour de force, un thriller psychologique de haute volée.
Alma Revel, la narratrice, a 47 ans. Alma est née dans une famille aux origines communistes. Son père s'est notamment investi dans la guérilla vénézuélienne en 1968. Il a été incarcéré pendant 11 ans avant de mourir. Sa mère est partie pour le sud, elle s'est remariée et vit dans les montagnes du Valgaudemar. Alma est mariée avec Ezra Halevi, écrivain juif pratiquant, depuis 25 ans. Ils sont en procédure de divorce. Elle est mère de trois enfants, Milena, Marie et Elie (des jumeaux). Dans la vie professionnelle, elle est juge anti terroriste au Palais de Justice de Paris. Elle encadre 11 magistrats et coordonne l'action des policiers. Comme une philosophie, dans son bureau est affichée une phrase de Marie CURIE : « Dans la vie, rien n’est à craindre, tout est à comprendre. » C'est ce qu'Alma s'attache à faire notamment quand elle reçoit dans son bureau des personnes emprisonnées de retour de Syrie dont elle va devoir décider, soit du maintien en prison, soit d'une libération sous contrôle judiciaire. Dans sa vie personnelle comme sa vie professionnelle, elle est à la croisée des chemins, pour le meilleur comme pour le pire !
Commence alors un roman haletant raconté à la première personne du singulier, ce qui renforce intensément le lien établi, par la voie de la lecture, avec cette femme en prise aux doutes.
Alma, je l'ai accompagnée dans sa vie quotidienne à un rythme effréné, largement inspiré d'histoires vraies. Elle est joignable sur son téléphone portable 24h sur 24h, 7j sur 7. Elle ne se déconnecte jamais des réalités professionnelles à la portée nationale, voire pire encore. Tout ce qu'elle décide, comme le sort d'Abdeljalil Kacem, peut être lourd de conséquences. Au-delà de la justice, ses décisions sont à coloration idéologique, elles révèlent une adhésion à certaines valeurs.
Juger est aussi un acte politique. P. 25
Le procédé narratif est ingénieux. Karine TUIL alterne les chapitres avec les interrogatoires du jeune homme. Peut-il gagner sa confiance ? A-t-il le droit à une deuxième chance ? J'ai vécu les séances de confrontation la peur au ventre.
Souvent, j’ai eu peur ; mais au bout d’un certain temps, la peur, on finit par la dominer. P. 23
Ce roman, c’est une prise de conscience du poids qui pèse sur les épaules d’individus en prise directe avec la menace djihadiste en France et qui veillent incessamment sur notre sécurité.
Alma a accédé à un poste des plus hautes responsabilités, c’est une femme aussi, tiraillée entre sa vie personnelle et sa vie professionnelle. Entre les deux s’exercent des jeux de pouvoir. Alma le sait, les relations qu'elle entretient avec un avocat pénaliste très médiatisé risquent de la fragiliser. Quand lui joue la carte de la défense...
Plaider c’est convaincre et, pour convaincre il faut être éloquent, c’est-à-dire plaire et émouvoir. P. 94
elle se surexpose. Karine TUIL l'avait évoqué lors de sa venue à Angers, elle aime particulièrement explorer les moments de fracture, de perte de contrôle. Alma, c'est un personnage de fiction que la passion amoureuse rend vulnérable. Il y a la femme publique, il y a la femme de l'intimité, deux faces d'un être pluriel que l’on ne saurait juger, encore moins condamner.
Et puis, il y a le rapport à la religion. J'ai beaucoup aimé le fil savamment tissé autour de la judéité, la transmission entre les générations par la voie des mères, le sursaut de la foi à des moments que nul ne peut anticiper, les ressentiments avec les musulmans...
Karine TUIL nous livre un roman poignant, tout en tension. La plume est nerveuse, le suspens à son comble, l'intrigue parfaitement maîtrisée jusqu'à cette chute... effroyable. Elle nous fait une nouvelle fois la démonstration de son immense talent d'écrivaine. Chapeau !