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2021-02-16T18:25:00+01:00

Mauvaises herbes de Dima ABDALLAH

Publié par Tlivres
Mauvaises herbes de Dima ABDALLAH
Sabine Wespieser Editeur
 
Je tiens le doigt de mon géant, un seul doigt d’une seule main pour affronter la guerre civile au Liban, quitter l’école et rentrer chez nous, dans notre abri, notre refuge, notre intimité, notre intérieur qui nous protège du dehors, de ce qui me fait peur, de ce qui fait grossir la boule dans ma gorge. J’aime retrouver les plantes en pot, le jasmin, la marjolaine, le basilic, le romarin, la verveine, le thym... toutes ces plantes qui me rappellent que je suis en vie, je les vois, je les touche, je les hume, je les bois en tisane et les savoure en cuisine, elles sont mon ancrage dans une guerre qui chaque jour met en danger mes racines.
 
Elle tient mon doigt, un doigt d’une seule main, c’est tout ce qui nous lie, ce qui nous relie, ce qui nous unit contre tous, les soldats, les terroristes... la guerre, je vois bien que tu en as peur, mais les mots n’ont pas leur place entre nous, les mots noircissent des feuilles de papier, ils sont là, couchés, incapables de franchir mes lèvres pour te rassurer.
 
Ce roman profondément troublant, ce sont deux voix, deux narrations, deux confessions. Il y a celle dont on comprend au fur et à mesure de la lecture qu’il s’agit de l’enfant, une petite fille, et l’autre, celle de son père. À travers leurs voix, c’est le rapport à l’intime, la confrontation de chacun à son corps, ses tripes, ses sentiments, une véritable introspection.


La peur, c’est le sentiment qui prend le dessus sur toutes les autres émotions. La peur, c’est le signal de la présence d’un danger. P. 153

Le roman, c’est pour chacun la quête du soi, celle de son identité dans ce qu’elle exprime de l’attachement à la terre natale, la terre d’origine, c’est aussi, tout au long des 36 années égrenées, le lent chemin vers le pardon.


C’est le coeur qui a ouvert le feu mais tout le reste du corps suit et approuve la guerre ouverte. P. 193

Et puis, il y a la mémoire, le fantôme des souvenirs personnels qui hantent les esprits comme les « Mauvaises herbes » qui se glissent dans chaque petite faille, s’y développent sans que rien ni personne n’y fasse.


J’espère qu’elle grandira comme poussent ces adventices. Ces hôtes de lieux incongrus, ces hôtes que personne n’a invités, que personne n’a voulus, qui dérangent mais s’en moquent bien et n’en finissent pas de pousser. P. 106

La métaphore est tellement juste. C’est le mythe de Sisyphe revisité, le long combat personnel vers le bout du tunnel, le petit point lumineux.


Ma mémoire fait repousser chaque matin des mauvaises herbes obscures que j’arrache sans relâche et en vain. P. 196

À travers leurs voix, c’est le rapport à l’autre qui est aussi exploré sous l’angle de la paternité. Il y a la présence, la protection, le réconfort, l’entre soi contre tous.


C’est une parenthèse, un moment hors du temps, quelques minutes qui ne font pas encore partie de la journée, qui ne comptent pas, un petit bout d’éternité. P. 98

J’ai été profondément troublée par l’absence de paroles, l’incapacité pour l’un et pour l’autre à dialoguer, à converser, à échanger... et soulager les maux de l’autre. Il y a pourtant quelque chose de l’ordre de la transmission, dans l’instant pour sauver sa peau dans cette guerre qui s’insinue dans tous les pores, à l’échelle d’une quinzaine d’années, le temps de la guerre civile au Liban, et puis sur plus de trois décennies, le temps de deux générations.
 
A travers leurs voix, c’est aussi le rapport au monde, sa confrontation personnelle à un environnement, des paysages, une langue... il est question d’acculturation, d’acceptation, de faire sien pour faire la paix.
 
Ce roman, c’est plus que tout un hymne à l’écriture, la force et l’objectif du père,


Je vais écrire parce que c’est la seule façon que j’ai de résister encore un peu. C’est mon combat, c’est ma guerre à moi. P. 109

La plume est belle, sensible, charnelle. Dans la forme, j’adore celles et ceux qui cherchent leurs mots, en proposent plusieurs pour finalement trouver celui qui sonne le plus juste. Dans le roman de Dima ABDALLAH, c’est, et ce qui donne la force au propos, et l’illustration même du chemin emprunté par chacun, l’incarnation d’un parcours initiatique.
 
J’ai profondément aimé ce roman empreint d'une profonde humanité.
 
L’alternance des deux narrations à la première personne du singulier ne fait que renforcer le champ des possibles, les divers horizons. Sensationnel !
 
Ce roman fait partie de la sélection 2021 du Prix du roman Cezam avec :
 
Pour la beauté du geste de Marie MAHER
Les chevaliers du tintamarre de Raphaël BARDAS
Le répondeur de Luc BLANVILLAIN
La certitude des pierres de Jérôme BONNETTO
La soustraction des possibles de Joseph INCARDONA
Betty de Tiffany McDANIEL
Tuer le fils de Benoît SEVERAC
Sang chaud de Kim UN-SU
 

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